Le 19 juin, à la Philharmonie de Paris, le Syndicat de la Critique a remis les prix décernés aux spectacles de la saison : Chloé Dabert pour la mise en scène du Firmament, le chorégraphe Thomas Lebrun pour L’envahissement de l’être (danser avec Duras), ex aequo pour le Grand prix musical Katharina Kastening avec Manru et Célie Pauthe avec L’annonce faite à Marie, Jean-Marie Hordé pour son livre Au cœur du théâtre 1989-2022 (éd. Les solitaires intempestifs).

Célébrer la création musicale, chorégraphique et théâtrale, rendre hommage à un parcours, consacrer une œuvre qui a su non seulement trouver son public, mais aussi séduire, toucher, émouvoir, marquer les esprits, fait partie de nos missions de journalistes, de critiques. C’est une joie chaque année renouvelée de pouvoir nous réunir le temps d’une cérémonie pour mettre en lumière une écriture, un geste, une vision. Depuis maintenant soixante ans, le Syndicat professionnel de la Critique de Théâtre, Musique et Danse a institué ce rituel, ce moment unique de partages et d’échanges. Ni la pandémie, qui a fragilisé le secteur et précarisé de nombreuses compagnies, de nombreux lieux, de nombreux artistes, de nombreux techniciens et de nombreux confrères, ni les grèves de cet hiver, ni les mouvements sociaux liés à une réforme des retraites particulièrement décriée, n’ont empêché notre institution, âgée de cent-cinquante ans, d’honorer ses engagements et de décerner ses prix.

Dans le contexte social, économique et mondial actuel, difficile de se réjouir. Les signes avant-coureurs d’une crise à venir de la culture et tout particulièrement du spectacle vivant sont au rouge. Face à l’inflation, à l’augmentation des factures énergétiques et de l’ensemble des charges, un changement de paradigme, une réflexion de fond sur les modes de production et de diffusion s’impose, que ce soit dans le secteur privé ou public. En raison d’une non-réévaluation, d’une baisse importante voire d’une suppression de leurs subventions, la plupart des établissements culturels et des compagnies sont confrontés à des choix drastiques. Après deux saisons pléthoriques, conséquence directe des confinements, force est de constater une réduction des programmations. De nombreux théâtres et salles de spectacle n’ont eu d’autres possibilités que de réduire la voilure, de renoncer à certaines productions, de diminuer leur soutien à nombre de créations. Le temps est à l’économie, aux budgets serrés, à une modification en profondeur des pratiques.

En résonance aux mutations de la société, un regard particulier des institutions, des syndicats et des structures artistiques, s’est porté sur le respect de la parité et l’ouverture sur la diversité. On en est loin, il suffit de se pencher sur le rapport de l’association des centres nationaux chorégraphiques pour s’en persuader. En 2022, Sur dix-neuf centres en France, seuls trois – faisant partie des moins bien dotés – ont une directrice. Le chemin est encore long. En tant qu’observateur, nous nous devons d’en faire écho, d’en suivre de près les évolutions. Le syndicat s’engage depuis plusieurs années en ce sens.

La situation est inquiétante mais pas désespérée. Dans le ciel assombri, des trouées laissent passer le soleil. Depuis que les spectateurs peuvent revenir sans contraintes dans les salles, ils sont de plus en plus nombreux à franchir le pas, à vouloir partager leur expérience, à privilégier les festivals, plus conviviaux, plus festifs. Ce n’était pas gagné. Les changements d’habitudes, la baisse du pouvoir d’achat, les réticences face à un virus qui reste aux aguets ont fait craindre le pire. Mais plus vibrant que jamais, l’art vivant n’a pas dit son dernier mot. Irremplaçable, non reproduisible ailleurs que dans le réel, dans le face-à-face unique entre un artiste et son public, il ne cesse de surprendre, de questionner, d’interroger l’état de nos sociétés. Porteur d’espoir, de joie, de tristesse ou de mélancolie, poétique ou lyrique, il est, à l’instar de la culture, dont il est un des éléments capitaux, une des pierres angulaires de nos démocraties et un indicateur de sa bonne santé.

À la Philharmonie de Paris ce 19 juin 2023, le temps fut à la fête. Mais en ce jour de célébration, et le palmarès en est le reflet, nous ne pouvons oublier la guerre qui se déroule aux portes de l’Europe, les drames féminicides qui trop régulièrement font la une de nos journaux. Nous ne pouvons non plus oublier que de grands noms des arts vivants et du journalisme nous ont quittés cette saison. Alors profitons d’être réunis pour avoir une pensée pour François Tanguy, Peter Brook, Jean-Louis Trintignant, Colette Nucci, Pascale Bordet, Kaija Saariaho, mais aussi pour Lucien Attoun, qui fut longtemps notre secrétaire général, Georges Banu, Philippe Tesson et Colette Godard.

Pour aujourd’hui, mais surtout pour demain, continuons à célébrer le théâtre, la danse et la musique, continuons à hanter les couloirs, les foyers, à user les sièges rouges ou bleus des salles de spectacle… Ensemble, alimentons toujours ce souffle vital qui fait de l’art un moteur pour changer le monde. Olivier Fregaville-Gratian d’Amore, Président du Syndicat Professionnel de la Critique
Prix Théâtre
Grand Prix (meilleur spectacle théâtral de l’année)
Le Firmament, de Lucy Kirkwood, mise en scène de Chloé Dabert
Prix de la meilleure création d’une pièce en langue française
L’amour telle une cathédrale ensevelie, de Guy Régis Jr
Prix Laurent-Terzieff (meilleur spectacle présenté dans un théâtre privé)
Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Osinski
Prix du meilleur comédien
Gilles Privat dans En attendant Godot, de Samuel Beckett, mise en scène d’Alain Françon
Prix du meilleur livre sur le théâtre
Au cœur du théâtre 1989-2022, de Jean-Marie Hordé. Éd. Les Solitaires Intempestifs
Prix du meilleur compositeur de musique de scène
Dakh Daughters pour Danse macabre, mise en scène de Vlad Troitskyi
Prix spécial
La Mort d’Empédocle (Fragments), de Johann-Christian-Friedrich Hölderlin, mise en scène de Bernard Sobel
Prix Musique
Grand Prix (meilleur spectacle musical de l’année) ex aequo
Manru, d’Ignacy Jan Paderewski, direction musicale de Marta Gardolińska, mise en scène de Katharina Kastening
L’Annonce faite à Marie, de Philippe Leroux, direction musicale Guillaume Bourgogne, mise en scène de Célie Pauthe
Prix Danse
Grand Prix (meilleur spectacle chorégraphique de l’année)
L’envahissement de l’être (danser avec Duras), de Thomas Lebrun





