Au Balcon d’Avignon (84), Audrey Vernon propose Comment traverser les sombres temps ? Le cabaret de la dernière chance, une zone poétique où la comédienne convoque Hannah Arendt. Un « seule en scène » qui fait sens et pique notre intelligence.
C’est l’histoire d’une comédienne qui voulait monter une comédie musicale sur Diam’s, une sorte de biopic sur une artiste qui a bataillé sec dans le milieu très mâle du rap, avant de mettre les voiles, au pluriel comme au singulier, de passer de « l’ultra-célébrité à la religion, du capitalisme à la spiritualité ». Et puis… Il y a eu l’Ukraine, Nahel, le réchauffement climatique, le massacre du 7 octobre, le déluge de feu sur Gaza. Le philosophe Adorno estimait qu’on ne pouvait plus écrire après Auschwitz. Mais « on est après Auschwitz, Hiroshima, Nagasaki, l’Irak, l’Ukraine, le Soudan, le Rwanda, le Congo et pendant Gaza », constate Audrey Vernon.
De Chantal Goya à Hannah Arendt…
Faire ou ne pas faire du théâtre quand un génocide se déroule à quelques milliers de kilomètres ? Quand la planète brûle, quand la Méditerranée est un cimetière à ciel ouvert. Et oh, comment ça va, le monde ? Seule en scène, Audrey Vernon brave tout, la lâcheté, la couardise qui enveloppent le monde dans un linceul d’hypocrisie. Et cherche des points d’appui, histoire de ne pas crever « de faiblesse » comme aurait pu dire Romain Gary ; histoire de ne pas sombrer dans la sidération, le défaitisme. Dans une salopette bleu travail, elle va convoquer le Big Bazar et Hannah Arendt ; Chantal Goya et Hannah Arendt ; ses crises existentielles, environnementales ou féministes, les travaux dans sa cuisine et Hannah Arendt, toujours.
Pour « traverser les sombres temps », Audrey Vernon a imaginé une comédie musicale, où la figure de la philosophe allemande en serait l’épicentre. Un biopic comme en raffolent les studios de Hollywood – elle voit déjà Meryl Streep remporter l’Oscar. Une constellation Arendt qui trouverait sa place entre la Grande et la Petite Ourse. Dans cette nébuleuse aux ramifications solides, on y croise Günther Anders, Walter Benjamin, Brecht, Tolstoï, Kafka, Dostoïevski. Demandez le programme !
Un bras d’honneur à la médiocrité ambiante
Les idées fusent dans ce cabaret de la dernière chance, salutaire bouffée d’oxygène contre visions anxiogènes. Audrey Vernon transforme la scène en une Zone poétique à défendre. Elle a trouvé ce point d’équilibre qui conjugue rire et intelligence. Parce qu’on sort plus intelligent, plus armé de ce spectacle qui fait un joli bras d’honneur à la démagogie et la médiocrité ambiante. Une heure et demie durant laquelle on aura traversé les temps sombres du siècle passé, et les sombres temps d’aujourd’hui.
Son spectacle se clôt sur un poème du poète palestinien Refaat Alareer, mort à Gaza sous les bombes israéliennes le 6 décembre 2023 :
« S’il est écrit que je dois mourir/Il vous appartiendra alors de vivre/Pour raconter mon histoire/Pour vendre ces choses qui m’appartiennent/Et acheter une toile et des ficelles/Faites en sorte qu’elle soit bien blanche/Avec une longue traîne/Afin qu’un enfant quelque part à Gaza/ (…) Puisse voir ce cerf-volant/Mon cerf-volant à moi/Que vous aurez façonné/Qui volera/là-haut/Bien haut/Et que l’enfant puisse un instant penser/Qu’il s’agit là d’un ange/Revenu lui apporter de l’amour/S‘il était écrit que je dois mourir/Alors que ma mort apporte l’espoir/Que ma mort devienne une histoire »Marie-José Sirach, photos Laura Gilli / Hamza Djenat
Comment traverser les sombres temps ?, Audrey Vernon : jusqu’au 26/07, 15h10. Théâtre du Balcon, 38 rue Guillaume Puy, 84000 Avignon (Tél. : 04.90.85.00.80).
Au théâtre Benoît XII d’Avignon (84), Bashar Murkus et Khulood Basel présentent Yes daddy. Les deux artistes travaillent de concert à Haïfa, en Israël. Ils évoquent les difficultés, mais aussi la nécessité de se réinventer, face aux violences du pays dirigé par Benyamin Netanyahou contre le peuple palestinien.
Alors que la guerre d’extermination à Gaza ne faiblit pas et que la colonisation de la Cisjordanie s’intensifie, le Festival d’Avignon accueille Bashar Murkus (auteur et metteur en scène) et Khulood Basel (dramaturge et productrice). Fondateurs à Haïfa de l’Ensemble Khashabi, seul théâtre palestinien indépendant en Israël, ils promeuvent, avec d’autres artistes, des œuvres qui portent un point de vue radical contre la dépossession.
Marina Da Silva – La guerre contre l’Iran déclenchée par Israël a provoqué des destructions et fait de nombreux blessés jusqu’à Haïfa. Comment avez-vous vécu cette séquence ?
Bashar Murkus – C’est difficile d’en parler brièvement et seulement du point de vue israélo-palestinien. La situation est très complexe. Pas seulement pour nous Palestiniens, qui vivons sur le terrain, mais pour tout le Moyen-Orient, qui fait face actuellement à un remodelage par la guerre.
Khulood Basel – Que dire ? Nous ne voulons pas que l’on nous considère comme des victimes. Nous ne voulons pas nous plaindre de notre situation à Haïfa lorsqu’on voit le niveau de destruction et de souffrance à Téhéran, à Gaza ou ce que subissent nos frères et sœurs de toute la nation arabe.
M.D-S. – Avez-vous les moyens de continuer votre travail ?
B.M. – Nous avons perdu le lieu que nous louions fin avril 2025. Un nouveau propriétaire ne voulait plus de nous. Ce n’est pas personnel, c’est politique. Durant dix ans, nous avons été un centre de référence pour les artistes palestiniens, à l’intérieur du territoire de 1948, une maison pour créer et réfléchir librement, avec le public. Mais ce n’est pas la fin du Théâtre Khashabi, nous poursuivrons cette histoire sous de nouvelles formes. Aujourd’hui, nous avons trouvé un autre lieu et nous continuons à travailler. Notre prochaine création, que nous espérons présenter au début de l’année 2026, sera un texte en arabe contemporain, une célébration de la culture palestinienne
K.B. – Durant ces deux dernières années, dans la rue où était installé le théâtre, les choses ont changé, comme si une autre Nakba se préparait. La vie quotidienne est devenue de plus en plus dure et violente. Les rues qui abritaient des familles palestiniennes ont été transformées avec l’arrivée de nouveaux habitants, bureaux, magasins… On a vu des soldats et des citoyens armés faire ce qu’ils voulaient contre d’autres citoyens. Est-ce que c’est ça un État démocratique ? En ce qui me concerne, c’est une phase où j’ai besoin d’attendre et d’observer. De réfléchir à quel type d’outils de résistance nous devrions utiliser maintenant car plus rien de ce que nous connaissions ne fonctionne, tant nous sommes touchés dans notre vie quotidienne. Continuer à créer, créer en arabe, garder un théâtre indépendant à Haïfa, aller à des manifestations, c’est ce que nous faisons, mais cela ne suffit plus. Nous devons repenser à comment vivre et poursuivre notre art.
M.D.-S. – Sans quelles circonstances avez-vous créé Yes Daddy ? Après Avignon, vous avez une tournée. Considérez-vous ces programmations comme une marque de solidarité ?
B.M. – Le 7 octobre a beaucoup affecté le processus de création et nous avons ressenti le besoin de la montrer à l’extérieur avant de la jouer, le 24 juillet 2024, à Haïfa. Notre premier thème portait sur l’occupation, au sens large. C’est une question politique qui requiert différentes approches et nous avons essayé de l’aborder dans le spectacle. Chaque pays a une façon différente de montrer sa solidarité, mais ce n’est pas ce que nous demandons. Nous sommes accueillis en tant qu’artistes palestiniens. Ainsi,Yes Daddy n’a pas spécifiquement à voir avec la Palestine, va au-delà des problématiques palestiniennes, et c’est très important.
M.D.-S. – Que pensez-vous du focus sur la langue arabe, aujourd’hui particulièrement dénigrée, au Festival d’Avignon ?
B.M. – Une langue est beaucoup plus ample que la tentative de la mettre sur scène. Comment peut-on choisir de représenter une langue ? En particulier lorsque cette langue, dans une période historique donnée, doit affronter l’occupation et la colonisation, la guerre ? Dans toute la région, la langue arabe a une place qui n’est pas la même que celle que lui octroient les Européens. Nous devons être critiques, en parler, même si c’est difficile, et même durant le Festival. Bien sûr, nous ne sommes pas au courant des problématiques politiques en France, nous sommes des « artistes-visiteurs » et nous amenons avec nous ce à quoi nous croyons, ce que nous aimerions partager avec le monde, c’est notre façon d’être là.
K.B. – L’arabe, parlé dans nombre de nations, a dû faire face à des attaques massives depuis les années 1960. Il y a une façon très spécifique de considérer qui sont les Arabes, spécialement par les hommes blancs en Europe. Je ne sais pas ce qui peut être fait pour en finir avec ces attaques contre nous et notre langue, notre histoire. Tout est lié. Mais ces attaques ne se déroulent pas seulement depuis deux ans mais depuis longtemps. Le défi est énorme et ne concerne pas que le Festival.
M.D.-S. – Avez-vous des difficultés pour entrer et sortir d’Israël ?
B.M. – Nous sommes des Palestiniens d’Israël, avec la citoyenneté et un passeport israéliens. Israël nous applique un colonialisme « soft ». Alors, oui, on perd notre outil de travail, mais au même moment, ils exterminent des enfants à Gaza, en Cisjordanie et ailleurs. C’est de la responsabilité de chacun de trouver des modes d’action pour empêcher ça. À Gaza, on assiste à un génocide. Le monde entier peut le voir. À Haïfa, c’est différent, c’est une guerre contre notre identité, contre la façon dont on pense et envisage le futur, mais c’est pour les mêmes raisons, le même système de colonisation. Propos recueillis par Marina Da Silva
Yes Daddy, Bashar Murkus et Khulood Basel : du 24 au 26/07, 18h00. Théâtre Benoît-XII, 12 rue des Teinturiers, 84000 Avignon (Tél. : 04.90.14.14.14).Tournée : Montpellier, les 6 et 7/11 ; Bastia, le 14/11 ; Marseille, les 18 et 19/11.
Au théâtre de l’Isle 80 d’Avignon (84), Jean-Louis Hourdin présente Le malheur innocent. Une « parlerie grave et joyeuse » où le comédien évoque la vie de Marianne, sa petite sœur trisomique. Un moment rare et beau, un « tombeau » de fraternité et d’amour.
C’est un lieu minuscule, non loin de la Place des Carmes, le Théâtre de L’Isle 80, « le plus petit grand théâtre du monde ». Lorsque l’on pénètre dans la salle sombre, on aperçoit un homme, assis au fond, dans le coin gauche. On reconnaît ce visage, cette silhouette. Plus près des spectateurs, sur le côté, un autre homme est assis. C’est François Chattot, haute figure du théâtre, qui veille sur son ami Jean-Louis Hourdin, qui se risque là à un exercice très personnel et touchant. Sous le titre Le Malheur innocent il se livre à une « parlerie grave et joyeuse » en mémoire, en l’honneur de sa petite sœur Marianne. La dernière d’une fratrie composée en deux mouvements : les années trente, les années quarante. Jean-Louis Hourdin est l’avant dernier. Il pense que ses parents voulaient absolument une fille pour remplacer leur aînée, tuée par le bombardement américain des usines de Billancourt, plusieurs années auparavant, alors qu’elle venait de mettre à l’abri ses frères et sœurs dans la cave de la maison.
Marianne, enfant de remplacement, naît trisomique. Si le médecin de la famille s’en rend compte immédiatement, il n’éclaire les parents qu’un an plus tard. Ils ont eu le temps de se rendre compte… Dès lors la petite fille est prise en mains avec patience, conscience, amour. Sa mère va lui apprendre à lire et à écrire, elle est intégrée dans une famille profondément catholique. Georges Hourdin, le père, est un grand homme de presse qui a fondé des journaux, un groupe très fertile. Un homme de foi, également. On ne dévoilera pas ici ce que nous dit Jean-Louis Hourdin. Il faut que chacun reçoive ses confidences au plus profond de son cœur. Il y a des documents, des films, et même une émission de télévision. Jean-Louis Hourdin lit des lettres, parle de sa mère, de son père. De Marianne. Une jeune fille des années 60 qui rêve d’écrire des chansons, lit Mademoiselle Ange Tendre et Salut les copains. Qui rêve aussi de se marier, d’avoir des enfants.
N’en disons pas plus. Ce serait abîmer ce moment extraordinaire d’une grande pudeur par-delà la « parlerie ». Marianne a vécu jusqu’à 78 ans. Pour les plus jeunes spectateurs, rappelons-le : Jean-Louis Hourdin appartient à la grande génération de l’école du TNS. Il a joué dès le milieu des années 60, notamment sous la direction d’Hubert Gignoux et signé des dizaines de mises en scène depuis le milieu des années 70. En Avignon, on n’oublie pas Léonce et Léna, Liberté à Brême. Pour Marianne, ce « tombeau » de fraternité et d’amour ! Armelle Heliot, in Le journal d’Armelle
Le malheur innocent, Jean-Louis Hourdin : jusqu’au 26/07, 19h00, relâche le 22/07. Théâtre de l’Isle 80, 18 rue des trois Pilats, 84000 Avignon (Tél. : 06.42.69.00.26).
Au théâtre du Balcon d’Avignon (84), Isabelle Starkier présente Ubu Président. Une adaptation du chef d’œuvre d’Alfred Jarry, signée Mohamed Kacimi. Deux chômeurs patentés, le père et la mère Ubu, rêvent devant le frigo vide : gagner l’élection présidentielle.
Père Ubu, imaginé dès 1896 par l’écrivain facétieux Alfred Jarry, était dès ses origines obscures à la fois capitaine de dragons, comte de Sandormir, roi de Pologne, docteur en pataphysique, grand maître de l’ordre de la Gidouille, etc. Désormais, sous la plume de l’écrivain et dramaturge Mohamed Kacimi, qui adapte l’œuvre célébrissime, Ubu veut devenir Président. Le drame, c’est qu’il est élu ! Pour cette nouvelle version, la mise en scène est d’Isabelle Starkier, les musiques signées Alain Territo. Ubu Président est devenu une désopilante comédie musicale. Avec Stéphane Miquel, dans la peau grasse du père Ubu, parfait dans ce rôle de grand guignol effrayant. Clara Starkier est une mère Ubu d’une belle sottise, qui roucoule d’amour pour son débile d’époux. Les musiciens comédiens Stéphane Barriere, Michelle Brûlé et Virgile Vaugelade sont autant à l’aise instruments en main que lorsqu’ils chantent ou jouent la comédie.
Mohamed Kacimi a frappé juste. Père Ubu est un beau parleur, qui éructe, harangue des foules avec une démagogie fantastique et n’a qu’un seul et unique but : capter pour lui et ses amis, mais en vérité surtout pour lui, toutes les richesses de la nation. Si l’on efface un peu, juste un peu, la farce, l’image de personnages actuels se matérialise sans la moindre erreur possible. Donald Trump par exemple… Passer de chômeur professionnel à locataire du palais présidentiel ne pose aucun cas de conscience à Ubu. Du moment qu’il y a du fric à faire. Les pauvres seront toujours plus fauchés ? Qu’importe à ces personnages qui flirtent avec les idéologies les plus nauséabondes. Voilà « une réflexion sur les enjeux mondiaux contemporains tout en redécouvrant ce classique de la littérature française », pointe l’auteur.
Le langage vert de père et mère Ubu est conservé, juste un peu modernisé. Leur « risible et terrifiante » ascension sociale mériterait presque que l’on précise dans le programme que « toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé… ». Gérald Rossi
« Ubu c’est l’emblème du tyran, mais d’un tyran ridicule, pathétique, comme notre 21ème siècle sait en produire à la pelle – à tarte ! C’est celui devant lequel on hésite entre rire et pleurer, celui qui n’a plus même l’air vrai : un dictateur en carton-pâte maquillé sous les oripeaux populistes de la démocratie ».Isabelle Starkier, metteure en scène
« J’ai conçu cette pièce comme un cri d’alarme. À travers les aventures grotesques d’Ubu, je veux montrer comment la démocratie peut basculer, d’un moment à l’autre, dans l’absurde et la violence quand la démagogie l’emporte sur la raison. C’est l’ambition que je porte avec cet Ubu : faire du rire une arme contre l’obscurantisme, rappeler que l’art reste un des derniers remparts contre la folie des hommes ».Mohamed Kacimi, auteur
Au théâtre des Carmes d’Avignon (84), Louise Vignaud présente La tête sous l’eau. Une pièce de Myriam Boudenia qui dénonce les sales coups portés aux exclus du monde du travail.
Irène prend la parole en public. Elle n’en a pas l’habitude. « On ne se connaît pas (donc) vous ne m’aimez pas », dit-elle à ses collègues de travail. C’est son dernier jour. Un pot d’adieu. Irène, la cinquantaine, a été licenciée. Le texte de Myriam Boudenia est une fiction, mais construite sur une réalité sensible, celle de tous ceux que la société, le marché du travail, comme l’on dit étrangement parfois, pousse à la porte, à la rue. Ainsi les profits de l’entreprise seront meilleurs, pendant que les exclus seront à la peine. Julien, lui, est océanographe. C’est sa passion. Il est bardé de diplômes. Sauf qu’il ne trouve aucun emploi à sa mesure. Alors, il livre des repas à vélo. Sans pouvoir même se payer une chambre. Delphine, la fille d’Irène, l’héberge. Entre fauchés on se serre les coudes. La mise en scène de Louise Vignaud est tout aussi généreuse. Inventive aussi.
Irène rêve de « mettre la tête sous l’eau » : pas pour se noyer, mais pour nager dans le monde des poissons. Pour découvrir d’autres univers que celui subi par les terriens. Cette poésie est joliment jouée, avec humour et bienveillance. Tous élèves comédiens formés à l’école régionale d’art dramatique, avec le soutien du CDN La Criée à Marseille, Masiyata Kaba, Thomas Cuevas, Alice Rodanet et Arron Mata font un sans-faute. Ils se partagent les personnages comme l’agent de « France Travail » (ex-Pôle emploi) ou l’employé de banque qui, étrangement, tiennent quasiment le même discours formaté.
Quand Julien accepte de devenir « auto entrepreneur » pour livrer ses repas à vélo, selon le bon vouloir de la plateforme qui l’exploite sans vergogne, ils font presque la fête. À gros traits, et au second degré, c’est un peu comme dans le réel. On en rit, et pourtant ce n’est pas drôle. Gérald Rossi
La tête sous l’eau, Louise Vignaud : jusqu’au 26/07, 12h00, relâche le 22/07. Théâtre des Carmes André Benedetto, 6 Place des Carmes, 84000 Avignon (Tél. : 04.90.82.20.47).
Jusqu’au 14/09, à Bussang (88), le Théâtre du peuple fête son 130ème anniversaire. D’une saison l’autre, un bel été vosgien quand comédiens, villageois et citadins investissent la cathédrale de bois. D’un roi nu à une belle bête, plaisir et bonheur des planches.
Au cœur de la forêt vosgienne, cathédrale laïque en bois depuis 1895, 130 ans d’histoire, le Théâtre du Peuple arbore fièrement sur son fronton sa devise légendaire « Par l’art, pour l’humanité » ! Un site mythique, célébré par Romain Rolland, où chaque année la foule s’enthousiasme de la prestation des comédiens amateurs entourant les professionnels, marque de fabrique du lieu, où chaque année le public s’émerveille à la traditionnelle ouverture des lourdes portes du fond de scène lors de la représentation. La metteure en scène, comédienne et directrice du lieu, Julie Delille invite le public à entrer en résonance, à faire relation avec les autres. Comme le proposait Édouard Glissant, le regretté poète – romancier et philosophe antillais, il importe ainsi de « se changer en échangeant sans se perdre ni se dénaturer » ! Encore plus et mieux en ce cent-trentième anniversaire : « Aucune fête digne de ce nom ne peut exister sans la joie d’être ensemble, sans celle de la rencontre et de l’échange », affirme avec conviction la metteure en scène et comédienne », et d’ajouter « au milieu de multiples célébrations, nous croiserons dès la mi-juillet un roi aussi tyrannique que ridicule, inspiré par quelques-uns de ce monde. À la tombée des nuits d’août, une mystérieuse bête nous emmènera pour un voyage au cœur de la forêt sauvage ».
Le Roi nu, la pièce écrite par Evgueni Schwartz en 1934 en Union soviétique c’est aussi bien Staline qu’Hitler ! La pièce, jamais jouée du vivant de l’auteur, a depuis connu un triomphe mondial. Et ironiquement, elle n’en est que plus actuelle, tant tel ou tel dirigeant a aujourd’hui la tentation de jouer les apprentis-sorciers, notamment de l’autre côté de l’Atlantique… « Le tyran est un bouffon : il fait le show, danse sur Village People, sature les écrans et pour humilier constamment, la vulgarité en bandoulière », commente Sylvain Maurice, le metteur en scène. « Prisonnier de son reflet, il finit dans le plus simple appareil, nu comme un ver. Schwartz déshabille littéralement la tyrannie avec autant de poésie que de férocité, il est notre contemporain ». Au fil des décennies, l’évidence s’impose, le cadre de la forêt vosgienne se prête à merveille à ces coups de cœur et coups de folie que nous offre ce lieu unique en son genre. Héritage fabuleux des fondateurs : Maurice Pottecher surnommé le « Padre », son épouse l’actrice Camille de Saint-Maurice prénommée affectueusement tante Cam, Pierre Richard-Willm à la direction artistique du Théâtre du Peuple !
1895, une date symbolique ! L’année d’une double naissance, celle du Théâtre du Peuple et celle de la CGT, la double aventure des prémisses d’un « théâtre élitaire pour tous » et de « l’éducation populaire » initiée par les bourses du travail. Plusieurs années durant (voir les archives du théâtre, ndlr), sous l’égide de l’Union départementale des Vosges et de La Vie Ouvrière, l’hebdomadaire de l’organisation syndicale, chaque été des centaines de salariés ont goûté aux délices de Bussang, une représentation suivie d’un débat avec le « Grand témoin » invité par le journal. En témoigne le regretté Jack Ralite dans la revue Frictions, lors du 120ème anniversaire. Bussenets, citoyens d’ici ou d’ailleurs, que la fête commence, le bonheur est dans le pré ! Yonnel Liégeois, photos Jean-Louis Fernandez
Le roi nu, Sylvain Maurice : jusqu’au 30/08, du jeudi au dimanche à 15h. Je suis la bête, Julie Delille : jusqu’au 30/08, du jeudi au samedi à 20h. Théâtre du Peuple, 40 rue du Théatre du Peuple, 88540 Bussang (Tél. : 03.29.61.50.48).
À lire :Le Théâtre du Peuple de Bussang, cent vingt ans d’histoire, par Bénédicte Boisson et Marion Denizot (Éditions Actes Sud). Le Théâtre du Peuple, par Romain Rolland (préface de Chantal Meyer-Plantureux, Éditions Complexe). Un siècle de passions au Théâtre du Peuple de Bussang, par Frédéric Pottecher et Vincent Decombis (Gérard Louis éditeur). Théâtre populaire, enjeux politiques de Jaurès à Malraux, par Chantal Meyer-Plantureux (préface de Pascal Ory, Éditions Complexe). Théâtres en lutte et Politiques du spectateur, par Olivier Neveux (Éditions La Découverte).
À écouter :« Le théâtre de Bussang, une aventure villageoise ». Un documentaire d’Amélie Meffre, réalisé par Anne Fleury (France Culture, La fabrique de l’histoire. 1ère diffusion : 02/11/2016).
À L’artéphile d’Avignon (84), Élise Noiraud propose Toutes les autres. Une pièce de Clotilde Cavaroc, l’histoire d’un amour partagé entre une femme handicapée et son assistant sexuel. Rencontre avec une artiste et femme talentueuse, aux fortes convictions.
Toutes les critiques sont unanimes, Élise Noiraud sert Toutes les autres, la pièce de Clotilde Cavaroc, avec tact et sensibilité. Une nouvelle fois, le succès semble de mise en terre avignonnaise. Depuis quinze ans déjà, la metteure en scène et comédienne fréquente le festival d’Avignon avec assiduité. « D’abord comme spectatrice, ensuite comme chroniqueuse pour un site internet… J’en garde un souvenir plutôt positif et joyeux, je n’en reste pas moins lucide sur la réalité du OFF, ses contraintes humaines et financières pour la majorité des compagnies théâtrales ».
Directrice artistique de la Compagnie 28 implantée à Aubervilliers (93), elle reconnaît avoir bien évolué et grandi après le formidable succès de sa trilogie(La banane américaine, Pour que tu m’aimes encore, Le champ des possibles). Trois « seule en scène » relatant le temps de son enfance et de sa jeunesse jusqu’à sa majorité qui, usant d’une énergie débordante et d’une exceptionnelle qualité de jeu, forte d’un talent rare dans son incroyable capacité à interpréter moult personnages d’un revers de main ou de réplique, parvient à transformer avec humour et émotion un parcours personnel en devenir collectif… « Aujourd’hui, je m’attèle à des projets différents dans la forme, mais toujours avec la même simplicité. L’objectif premier demeure : parler de la vie, parler « du » et « au » quotidien des gens ». Qui n’hésite pas à s’emparer de questions sociales fortes, « pas dans une démarche militante, plutôt dans la mise à nu de la vie de mes contemporains dans toute leur complexité ». Une preuve ? Son adaptation sur les planches du film de Laurent Cantet, Ressources humaines : elle signait une mise en scène fluide et sans temps mort, usant juste de quelques tables et chaises manipulées à vue pour promener le spectateur de la maison familiale au cœur de l’usine !
De la complexité du monde ouvrier à celle des protagonistes de Toutes les autres, Élise Noiraudne se sent point dépaysée. « C’est une thématique qui me parle beaucoup, en cohérence avec mes précédentes réalisations : donner à voir la vraie vie, penser le monde sous ses multiples facettes, soulever des questions qui interpellent chacun ». Et de s’interroger sur la place accordée aujourd’hui à la culture en général, au spectacle vivant en particulier… « Serait-ce une activité économique quelconque, qui doit générer profit et rentabilité ? La culture, c’est un bien précieux, qui ouvre à l’autre et crée du lien social. En tant que citoyenne et mère, je me pose la question : quelle vision du monde avons-nous et proposons-nous ? C’est effrayant ! Quel avenir pour nos enfants, pour toute la jeunesse ?. Comédiens, nous ne nous battons pas seulement pour défendre nos acquis ». Élise Noiraud ? Assurément, une dame des planches à inscrire au tableau des femmes fréquentables pour ses talents multiples ! Yonnel Liégeois
Toutes les autres, Élise Noiraud : jusqu’au 26/07, 15h55. Théâtre L’artéphile, 7 rue Bourg Neuf, 84000 Avignon (Tél. : 04.32.70.14.02). Du 05 au 28/10 au Théâtre de Belleville, Paris.
Clémence et Antoine
Être handicapé ne dispense pas d’éprouver des désirs et de chercher à prendre du plaisir. Clotilde Cavaroc aborde la manière d’y répondre avec beaucoup de tact et de finesse.
Clémence est dans un fauteuil roulant. On apprendra au fil de la pièce qu’un accident dramatique, qui a tué son compagnon, l’a laissée privée de l’usage de ses deux jambes. Lasse de trop de solitude et d’enfermement, elle fait appel à un « accompagnant sexuel » pour retrouver le chemin de son corps et de ses sensations. Un homme se présente. Antoine est infirmier le reste du temps. Il a décidé, avec l’accord de son épouse, de donner de son temps – et de son corps – à des personnes en situation de handicap. Leur donner du plaisir sous quelque forme que prenne celui-ci, en répondant à la demande de combler un manque affectif et sexuel.
Le thème était épineux. La mise en scène d’Élise Noiraud, sobre et resserrée, le jeu juste et sans emphase de Kimiko Kitamura et de Stéphane Hausauer ainsi que le lent ballet amoureux de la gestuelle dépouillent le spectacle de toute tentation de voyeurisme. Ils en font une tranche de théâtre et de vie sensible et emplie d’émotion. Une belle manière de se préoccuper de l’Autre et un témoignage fort. Sarah Franck, in Arts-chipels.fr. Photos Clément Sautet
Du 18 au 20 juillet, sous la houlette de la pianiste Irina Kataeva-Aimard, le Manoir des arts de Jaugette (36) organise son traditionnel festival de musique. Au cœur du parc naturel de la Brenne, entre portées de notes et ambiances ludiques, à l’heure de l’enfance.
En cet été 2025, du 18 au 20/07, les mondes de la musique et de l’enfance vont se conjuguer en un original projet poétique et ludique ! Une authentique invitation à l’évasion, marque de fabrique du festival de Jaugette depuis 2012... Rien ne prédestinait Irina Kataeva-Aimard à diriger de telles rencontres musicales : la pianiste a grandi à Moscou, au sein d’une famille d’artistes. « J’ai eu la chance de baigner dans un environnement fabuleux », elle le reconnaît bien volontiers, « parmi les invités de mes parents, il y avait des gens comme Samson François ». Son père, Vitali Kataev, était chef d’orchestre et sa mère, Liouba Berger, musicologue. Un univers pour le moins favorable au développement de l’expression artistique, tel fut le chemin emprunté par Irina qui s’initie très jeune à la musique et notamment aux créations contemporaines. Fervente admiratrice de la musique de Messiaen, dès les années 1980 elle interprète ses œuvres dans de nombreux lieux de culture de l’ex-URSS. En France où elle s’installe en 1985, et un peu partout dans le monde, elle multiplie concerts et festivals, jouant Prokofiev, Scriabine, Chostakovitch.
Elle devient une sorte de pianiste attitrée des compositeurs contemporains russes, tels Alexandre Rastakov ou Edison Denisov. Elle rencontre et travaille avec Pierre Boulez et Olivier Messiaen. Au début des années 2000, elle enregistre les œuvres de plusieurs compositeurs contemporains européens. Son talent et son expérience l’autorisent naturellement à transmettre son savoir : elle enseigne au Bolchoï le répertoire des mélodies françaises aux jeunes chanteurs russes, elle est par ailleurs professeur titulaire de piano au Conservatoire à rayonnement départemental Xenakis d’Évry Grand Paris Sud.
Et puis… Les hasards de l’existence la conduisent dans le parc naturel régional de la Brenne. Coup de cœur pour un manoir datant des XVème et XVIIème siècles : Irina trouve à Obterre plus qu’un lieu de villégiature, surtout un cadre propice à la présentation d’œuvres musicales diverses. D’une grange, elle fait une salle de concert. À partir de 2011, l’artiste investit dans les bâtiments et crée une association. Au final, trois festivals de musique par an marient concerts d’instruments anciens, création d’œuvres contemporaines, prestations de groupes folkloriques, conférences et master class permettant la rencontre de jeunes musiciens. À chaque initiative, son thème : du Romantisme en Europe au XIX ème siècle à la Splendeur russe, en passant par Tradition et modernité ou encore La nature les animaux et la musique… La palette est large, le pari osé. « Aux habitants éloignés des grandes salles de concert, je veux offrir l’ouverture aux musiques du monde. Passées et actuelles. L’art ne doit pas être réservé à une élite des métropoles ».
Son désir le plus cher, en créant un tel festival ? Faciliter l’échange culturel, agir concrètement pour la découverte d’une région et de son patrimoine. Les rencontres de Jaugette sont ainsi l’occasion pour les visiteurs de se familiariser avec des paysages, une gastronomie locale. L’hébergement sur place des artistes est aussi un vecteur de rapprochement. Et il en est passé, depuis 2012, des artistes de renommée internationale ! Irina garde de ces prestations des souvenirs impérissables. De sa mémoire jaillissent quelques moments phares, comme la présence en 2015 d’Andreï Viéru, l’un des plus talentueux interprètes de Bach sur la scène internationale. Elle fut aussi honorée de la participation de Simha Arom, l’un des plus grands ethnomusicologues de notre temps, qui anima un atelier consacré au groupe africain Gamako.
« La venue de dix-huit chanteurs de l’opéra du Bolchoï fut pour moi un moment magique », s’enthousiasme-t-elle. Dans le même registre, elle apprécia tout particulièrement la visite d’un groupe d’une quinzaine d’artistes de Mestia en Georgie : le plus jeune avait 17 ans, le plus ancien 85… Les virtuoses qui ont répondu à l’invitation d’Irina ont souvent servi avec brio des projets innovants. Tels ces Miroirs d’Espaces de François Bousch où, au cours de l’écoute de cette création pour électronique et diaporamas, le public intervient sur le déroulé musical par l’intermédiaire de leur smartphone : le compositeur a créé une sorte d’alphabet sonore qui permet de transcrire en notes les textes envoyés par les téléphones. En 2019, Pierre Strauch dirigea à six heures du matin un quatuor à cordes sur la terrasse du château du Bouchet : Haydn, Webern et Schumann à un jet de pierre de l’étang de la mer rouge, l’un des plus beaux plans d’eau de la Brenne, au cœur du parc naturel régional ! Plus d’une centaine de personnes ont eu le privilège de vivre cette communion entre la musique et le réveil de la nature.
Une symbiose qui touche même la sensibilité du monde animal, si l’on en croit la réaction de pensionnaires du parc animalier de la Haute-Touche. Des événements musicaux et chorégraphiques ont été présentés au public dans les allées de la réserve. « Nous avons vécu des moments magiques », confie Irina. « Captivée par le spectacle, une meute de loups s’est rassemblée au bord de leur enclos, plus tard ce sont deux lamas qui sont restés figés, visiblement fascinés par le jeu des artistes ». Une expérience qui montre à quel point les idées bouillonnent dans l’esprit des organisateurs ! D’ores et déjà, des réflexions sont engagées pour ouvrir les visiteurs à d’autres réalisations : un projet d’espace réservé aux sculptures contemporaines est en gestation. D’une année l’autre, Irina et son association innovent et surprennent. L’objectif ? Faire du Manoir des arts un rendez-vous exceptionnel de la création artistique. Philippe Gitton
Entre jeux d’enfants et performances musicales, les rencontres musicales de Jaugette offrent des moments exceptionnels dans une région qui l’est tout autant, la Brenne : trois jours magiques !
– Le vendredi 18 juillet, 20h30 : Hansel et Grétel. Opéra romantique en trois actes de Humperdinck, composé en 1891, d’après le conte populaire merveilleux recueilli par les Frères Grimm. Partis dans la forêt cueillir des fraises, les deux enfants s’égarent et sont attirés par la maison en pain d’épices de la sorcière. Un classique du répertoire, accompagné de marionnettes d’une incroyable expressivité.
– Le samedi 19 juillet, 16h00 : Trio Kawa – Contes de Mahabharata. Musique et danse de l’Inde sur les contes de Mahabharata, par les frères Kawa, groupe de musique traditionnelle Soufi, originaire de Jaipur au Rajasthan (Inde). Une animation de handpan par Etienne Joly, 17h00 : le hand-pan est un instrument de musique à percussion mélodique, créé à la fin des années 1990. Il se compose de deux demi-coupelles en acier, embouties, jointes ensemble. Le handpan se joue posé sur les cuisses. Le joueur le fait résonner en tapant dessus avec les mains et les doigts. Un récital de mélodies françaises, 20h30 : la mélodie française est un genre qui unit musique et poésie. Les chefs d’œuvre de Debussy, Ravel et Poulenc, inspirés par les poètes tels que Apollinaire, Eluard, Gautier, seront interprétés, ainsi que des œuvres de Rosenthal et Godard, inspirés des poèmes de Nino et de La Fontaine évoquant l’univers de l’enfance.
– Le dimanche 20 juillet, 11h00 : Au début du monde. Armelle, Peppo et Jean Audigane nous plongent au cœur de la cosmogonie tsigane, une saga ancienne tissée de dieux, de déesses, de légendes et de voyages. Guidés par les récits anciens, vous découvrirez l’histoire fascinante de la création du monde. Ces récits cosmogoniques ne sont pas seulement des histoires sur l’origine du monde, ils servent également à transmettre des valeurs culturelles et spirituelles au sein de la communauté tzigane. Pierre et le Loup – Contes de la vieille grand-mère (Serge Prokofiev), 16h00 : un conte musical pour enfants écrit à Moscou en 1936. Cette œuvre symphonique a été composée pour initier les enfants aux instruments de l’orchestre. Chaque personnage de l’histoire est représenté par un instrument différent : l’oiseau par la flûte, le canard par le hautbois, le chat par la clarinette, le grand-père par le basson, le loup par les cors, Pierre par les instruments à corde (par le piano, dans cette version) et les chasseurs par les timbales et la grosse caisse.
Du vendredi 18 au dimanche 20 juillet, à 13h : les artistes et musiciens donnent rendez-vous au public au cœur du Parc Animalier de la Haute Touche.
Sur la scène de la FabricA d’Avignon (84), Christoph Marthaler propose Le sommet. Le grand metteur en scène suisse allemand a imaginé une histoire perchée dans les hauteurs où défilent les grands de ce monde. Lorsque six protagonistes haut-perchés se rassemblent, une satire cinglante qui mêle théâtre, musique et chant.
On raconte qu’en Suisse, les très très riches ont tous un chalet dans les alpages pour se préserver de la pollution des vallées surpeuplées et respirer l’air frais de la montagne. Les chefs d’État et de la finance se plaisent à organiser des sommets à Davos pour décider du sort des peuples. Les alpinistes rêvent de sommets toujours plus hauts. On parle de sommets de la littérature et on connaît tous dans notre entourage une personne prête à tout pour parvenir au sommet de la hiérarchie. En allemand, « sommet » se dit « Gipfel », mot qui désigne aussi une viennoiserie, un croissant. C’est à partir de toutes ces combinaisons possibles du mot « sommet » que Christoph Marthaler a imaginé ce spectacle, créé à Vidy-Lausanne dans le cadre du festival Tempo forte, dans une forme plus resserrée (plus simple et adaptable à tous les théâtres) tout aussi burlesque que grinçante.
Sur le plateau, l’intérieur d’un refuge des plus sommaires. Deux lits superposés, des bancs, un extincteur, un téléviseur antédiluvien, un micro-ondes, un téléphone mural de secours, des dossiers bien alignés et là, posé devant, un rocher miniature, petit sommet en carton-pâte. Tout est rangé, scrupuleusement ordonné. Un tout jeune homme, probablement le gardien des lieux, est allongé sur un banc. On entend une musique d’ascenseur mais c’est par un passe-plat que débarquent les uns après les autres les personnages. Ils ne se connaissent pas, prennent place sagement, s’observent du coin de l’œil, tentent de communiquer mais ne se comprennent pas. Ça parle italien, allemand, français, anglais. Le gardien sort son accordéon et joue le début de la Symphonie inachevée de Schubert. Plus tard, ils danseront au son d’un folklore autrichien.
Un huis clos aux bruits calfeutrés
Que viennent-ils faire dans ce refuge ? On les regarde classer des dossiers sortis de nulle part, se croiser, s’éviter. Chacun donne l’impression de savoir ce qu’il doit faire. Tous tournent autour de ce petit sommet en carton-pâte. Qui sont-ils ? Des fonctionnaires internationaux, des agents secrets, des skieurs perdus dans la tempête, des fous échappés dans la nature, des chefs d’État réunis en conclave, des VIP cherchant les frissons de l’altitude ? Que font-ils là ? Christoph Marthaler ne nous laisse pas le loisir de répondre. On pense être parvenu à identifier la scène quand elle se métamorphose sous nos yeux. Tous chaussent leurs skis, tombent les uns sur les autres et s’emmêlent dans une mêlée inextricable. Énième et grotesque métaphore d’un sommet où la mécanique se déglingue au fil des changements de situation, les skieurs redevenant des dirigeants populistes, toujours prêts à tirer la couverture à soi. Les accessoires s’invitent dans cette sarabande et dessinent une partition sonore totalement foutraque.
Les mots se perdent, se répondent, provoquant des malentendus savoureux. Alors on chante, une chanson ou un air d’opéra, toujours à contretemps, à contre-emploi. Rien de mieux qu’un chœur pour créer un peu d’harmonie même si, ici, la musique ne se contente pas d’adoucir les mœurs, ce serait trop facile. Les déplacements des acteurs-chanteurs – Liliana Benini, Charlotte Clamens, Raphael Clamer, Federica Fracassi, Lukas Metzenbauer et Graham F. Valentine – sont millimétrés dans une chorégraphie au cordeau où chaque geste, chaque mouvement, aussi lent et retenu soit-il, casse le rythme. Dans ce huis clos, les bruits du monde parviennent calfeutrés, étouffés. Les dirigeants en tenue d’apparat posent pour la photo de famille, l’air suffisant et content d’eux quand bien même ils n’ont rien résolu du grand bazar du monde, bien au contraire.
Derrière le burlesque et le grotesque, le metteur en scène signe une satire grinçante des grands de ce monde, montre du doigt cette comédie du pouvoir, les dégâts provoqués par des décisions prises au sommet, leur silence complice devant les crimes de guerre en Ukraine, en Palestine ou ailleurs, leurs amitiés avec les marchands d’armes. Marthaler fait là son contre-sommet. Marie-José Sirach, photos Christophe Raynaud de Lage
Le Sommet, Christoph Marthaler : jusqu’au 17/07, 13h00. La FabricA, 11 rue Paul Achard, 84000 Avignon (Tél. : 04.90.14.14.14). Les dates de tournée : MC93, Maison de la Culture de Bobigny,du 3 au 9/10.Théâtre National Populaire de Villeurbanne, du 7 au 12/11.Bonlieu, Scène nationale d’Annecy, du 18 au 20/11.TnBA, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, du 3 au 5/12.Les Gémeaux, Scène nationale de Sceaux, les 10 et 11/12.
Au théâtre 11-Avignon (84), Sophie Langevin présente Ce que j’appelle oubli. Un texte fort de Laurent Mauvignier, une magistrale interprétation de Luc Schiltz… La mort d’un homme, scandaleuse, pour une canette de bière bue dans un rayon de supermarché. Un fait divers innommable, une invitation à la révolte et à la vigilance.
Qui est-t-il ? Un sdf, un sans-le-sou, banalement un mort de soif… Nul ne sait, sinon qu’il a saisi la canette de bière, l’a décapsulée, en a bu une gorgée… Pas deux, une seule, les quatre vigiles ne lui ont pas laissé le temps de l’apprécier : encerclé, ceinturé, conduit dans la réserve du magasin, roué de coups, abandonné mourant dans une mare de sang. Pas une nouvelle de science-fiction, une histoire authentique, parmi des dizaines d’autres un fait divers survenu à Lyon en 2009 : mort pour rien, pour une canette, la moins chère à l’étal des boissons !
Des brutes à la force vicieuse
Dans la semi-obscurité, surgi de derrière le rideau semblable à celui de l’entrepôt des supermarchés, un visage dans un éclair de lumière, une musique qui bruisse au lointain. L’homme raconte. Un soliloque sans fin, comme la phrase qui court sans ponctuation de la première à la dernière page de l’ouvrage de Laurent Mauvignier (éditions de Minuit, 60 p., 11€). Respiration haletante, silences angoissants, la silhouette joue à cache-cache derrière la tenture en lamelles de plastique. L’homme raconte l’engrenage fatal, son frère semble-t-il, les coups de poing et de pied qui pleuvent sur le corps terrassé, les râles, les gémissements. La voix se veut monocorde, sans pathos superflu, les faits rien que les faits : l’inhumanité personnifiée, quatre brutes qui s’acharnent sur un individu sans défense. Sans raison, détenteurs d’un maigre pouvoir qui n’autorise pas à tuer, fiers de leur force vicieuse.
Une mort impensable, inconcevable, à l’abri des regards, dans l’indifférence générale… L’homme égrène quelques souvenirs, des bribes de vie de la victime, livre au public quelques moments de petits bonheurs qui ont ponctué une existence anodine. Non, vraiment, rien ne justifie une mise à mort aussi ignoble, une telle tragédie ! La mort d’un anonyme sans doute, peut-être un autre jour, une autre fois un moins que rien ou un sans dent osera le même geste certes répréhensible, la banalité d’un larcin à cent sous… Mort pour un rien, hier comme demain, la soif de vivre ne compte donc pour rien ? Juste un vivant assoiffé, en manque d’argent… Tout vivant a sa place, même parmi des vivants autrement plus nantis et arrogants. L’homme poursuit son soliloque, interloqué devant un tel déferlement de violence, une telle haine. Luc Schiltz est impressionnant de vérité dans son rôle de narrateur, la gravité de la voix se mêlant judicieusement à l’accompagnement musical de Jorge de Moura, notes ou sons stridents comme des râles ou des cris.
Piquée au vif de la chair, maux et mots balancés tels des uppercuts au visage des spectateurs, la mise en scène de Sophie Langevin se révèle d’une puissance bouleversante. Le public est happé, hanté par les dits, non-dits et silences, submergé d’impuissance, d’incompréhension tout autant que de révolte, devant l’inconsolable. Avec cette vérité lancinante, incontournable : meurtre solitaire – crime collectif – génocide planétaire, quels que soient les justificatifs ou formes dont elle se pare, la barbarie est irrémédiablement condamnable. L’humanité partagée, une belle devise à ne jamais oublier ! Yonnel Liégeois, photos Bohumil Kostohryz
Ce que j’appelle oubli, Sophie Langevin : jusqu’au 24/07 à 11h45, relâche le 18/07. Théâtre 11-Avignon, 11 boulevard Raspail, 84000 Avignon (Tél. : 04.84.51.20.10).
Au théâtre des Halles, en Avignon (84), Jacques Osinski présente En attendant Godot. Le metteur en scène s’empare de la pièce la plus célèbre de Samuel Beckett en insufflant à ses personnages une humanité désespérée autant que fantastique. Un plaisir durable pour le spectateur, une salle debout !
Décor. Un arbre sec comme une trique. Un gros caillou usé par le temps. Et le ciel, traversé de nuages sombres, avant que la lune ne fasse une entrée brumeuse. Le metteur en scène Jacques Osinski (scénographie de Yann Chapotel), magnifie le matériau brut et le verbe. Il a choisi la version que Samuel Beckett valida en 1984, en ligne directe avec la mise en scène de l’auteur à Berlin en 1975. Insufflant une bonne dose de malice, Samuel Beckett expliquait qu’il avait écrit ce Godot en un temps où « il ne connaissait rien au théâtre ». La pièce date de 1948, elle fut publiée en 1952, aux éditions de Minuit à Paris. Elle est la plus célèbre du dramaturge d’origine irlandaise.
Rangée un peu vite sur le rayonnage du théâtre de l’absurde, elle pose toujours des questions. Même si l’on ne croit plus guère que Godot, dont on ne sait finalement rien, viendra un jour. Pourtant subsiste un doute. Jacques Osinski avait déjà monté La dernière bande, Cap au pire, l’Image et Fin de partie. Avec une partie de l’équipe fameuse que l’on retrouve ici. Jacques Bonnaffé est Vladimir et Denis Lavant Estragon, Jean-François Lapalus est le soumis Lucky, Aurélien Recoing étant le maître Pozzo. Celui-là même qui donne un os à ronger à qui a faim. Celui qui boit du vin à la barbe des autres. Sur l’écran, apparaît Léon Spoljaric Poudade, en jeune messager. La machine fonctionne comme une horloge suisse.
Chacun est à la place qui lui convient. Et tous participent de la même fête des mots et de leur sens. Avec une bonne dose d’humour. En attendant Godot peut être une longue attente. Car il faut tenir la durée de la pièce. Ici, deux heures quinze, bon poids. Mais elle peut aussi se révéler source d’un plaisir durable pour le spectateur : au moment des longs saluts, une salle debout ! Gérald Rossi, photos Pierre Grosbois
En attendant Godot, Jacques Osinski : jusqu’au 26 juillet, 21h00. Théâtre des Halles, 22 rue du Roi René, 84000 Avignon (Tél. : 04.32.76.24.51).
À la Scala d’Avignon (84), Ariane Ascaride propose Touchée par les fées. Sur un récit de vie confié à Marie Desplechin, entre humour et émotion, pétulance et autodérision, la comédienne égrène ses souvenirs. De l’enfance à l’aujourd’hui, une déclaration d’amour à la scène pour la gamine issue des milieux populaires de Marseille.
Comme pour d’autres avant elle, la valeur n’a point attendu le nombre des années ! De là à prétendre que la jeune Ariane fut une âme bien née, il ne faut tout de même pas abuser… Dès l’enfance, la gamine foule les planches. Sous la houlette du padre, son napolitain de père, coiffeur de métier mais directeur-metteur en scène d’une troupe de théâtre amateur… Le bel italien, tombeur de ces dames au grand dam de son épouse au point que le couple n’échangera plus une seule parole au fil de leur vie commune, est alors fier de sa fille. Dans ce quartier populaire de Marseille, pour la famille Ascaride, à défaut de la misère, la pauvreté a droit de cité. Le pastis et le drapeau rouge aussi, coco de père en fille, la culture également : le théâtre de Bretch pour le maître barbier, les grands airs d’opéra pour la mère de famille.
Entre représentations théâtrales et séances de tournage, d’un rendez-vous l’autre au fil d’un petit noir ou d’une tasse de thé, Ariane Ascaride a confié quelques séquences de vie marquantes à la romancière Marie Desplechin, son amie et complice. Pour offrir au final Touchée par les fées, fada en langage méridional, un récit chargé d’un lourd vécu oscillant entre soleil lumineux de la Canebière et grisailles d’un quotidien assombri par les querelles familiales, grands bonheurs de la petite enfance et amours interdites d’un père dont il sera longtemps fait silence.
« Je viens une dernière fois convoquer ces personnages, des êtres simples mais capables de croire aux fées, aux sorcières, aux anges », confie Ariane l’espiègle qui n’en perd jamais ni son humour, ni son latin ! Qui se veut témoin d’un héritage complexe, « la vie d’hommes et de femmes qui laissent à leurs descendants des pépites d’or et de bouts de charbon ». Une parole, superbement animée et chantée sous la houlette de Thierry Thieû Niang, talentueux metteur en scène : quelques valises à souvenirs, une dizaine d’images accrochées aux épingles à linge, trois bouts d’étoffe et un doudou, enthousiasme et optimisme à foison, la magie opère, plaisir et émotion sont à l’affiche de la Piccola Scala.
Formidable conteuse, la Jeannettede Robert Guédiguian, duo gagnant italo-arménien, n’a rien perdu de sa générosité, de sa verve et de sa spontanéité. Sous la plume gracieuse de Marie Desplechin et le regard aérien de Thierry Thieû Niang, l’attrait de l’à-venir l’emporte sur la nostalgie du temps écoulé. Entre révoltes, douleurs et combats, entre la folle passion des planches et l’amour du grand écran, un spectacle d’où l’on ressort grandi et ragaillardi ! Yonnel Liégeois, photos Louie Salto
Touchée par les fées, Ariane Ascaride : jusqu’au 27/07 à 11h50, relâche les 14 et 21/07. La Scala, 3 rue Pourquery de Boisserin, 84000 Avignon. (Tél. : 04.65.00.00.90).
Artiste et citoyenne
Le 7 avril, l’Adami, la société de gestion des droits des artistes, a décerné le « Prix de l’artiste citoyenne 2025 » à Ariane Ascaride. La comédienne a décidé de reverser les 10 000 euros du prix à l’Aasia, « une association peu connue qui œuvre à aider et soulager les migrants sur la route de l’exil et dans les camps de rétention ». Depuis janvier 2020, l’Aasia se déploie avec son programme « On the Road » sur les îles grecques de Samos et de Chios. « On dit souvent que je suis une artiste engagée, mais citoyenne, quel beau mot ! ».
Au Lila’s, en Avignon (84), Sarah Pèpe propose Croî(t)re ? Ou la fulgurante chute de Mme Gluck… et son irrésistible ascension. De la déchéance sociale à un possible devenir, un spectacle qui croit en la force du « commun, commune » et aux lendemains qui chantent.Sans oublier les autres spectacles à l’affiche du théâtre.
Théâtre atypique dirigé par Romane Bernard et François Nouel, lieu emblématique en Avignon depuis 2015, Les Lila’s se revendique scène ouverte aux auteures, interprètes ou chorégraphes, toutes femmes au talent certain qui proposent leur vision du monde diverse et colorée. Un regard sur la vie et la société longtemps monopolisé par les hommes, privant de parole la moitié de l’humanité ! « Faire entendre les invisibilisées, les minorées, les silenciées enrichit l’imaginaire collectif », témoigne Sarah Pèpe, la directrice artistique du Local des autrices, relais parisien où leur voix plurielle a droit de cité et où nous avons vu en avant-première la plupart des spectacles présentés au festival. Osez découvrir et applaudir la révolte qui monte et gronde, celle d’artistes d’une incroyable force créatrice et poétique ! Yonnel Liégeois
Toute habillée de vert ce soir-là, on place son espérance là où l’on peut, Mme Gluck sort la tête de sa poubelle ! Pour nous conter une peu banale histoire de sac à dos… Celui qu’elle a offert à sa fille, prétendument acheté et qui a causé sa perte. Un sac d’école presque neuf, récupéré dans les ordures mais identifié par la copine de classe, la petite « bourge » du quartier aux moyens financiers illimités. La honte pour l’autre gamine qui refuse de retourner en classe, se brouille avec sa mère traitée de menteuse et de voleuse.
Pour se racheter, Mme Gluck ose alors ce qu’elle a toujours refusé : souscrire des crédits à la consommation ! Et de s’endetter, d’accumuler les achats compulsifs, entre l’être et l’avoir se fourvoyer en pensant faire le bonheur de sa progéniture. Jusqu’à l’engrenage fatal : l’incapacité à rembourser ses emprunts et à payer son loyer, l’expulsion de son domicile, la galère et le chômage. La vie à la petite semaine, dans les poubelles.
Auteure, metteure en scène et interprète, directrice artistique du Local des autrices (75), Sarah Pèpe se joue des mots pour nous dépeindre une réalité sociale qui, aujourd’hui, touche une bonne part de nos concitoyens : la précarité, la pauvreté qui frappe tout un chacun. Pour un accident de la vie, une maladie, une séparation, une dépression… Surtout dans un monde où le luxe s’affiche à toutes les devantures, où la publicité vend du bonheur sur tous les écrans, où l’argent des uns nargue sans vergogne le peu de moyens des autres. Ni pathos ni prise de tête sur scène, mais une folle énergie et force humour : une vraie poubelle, quatre épingles à linge et deux bouts de drap blanc, un puissant ventilateur pour imager le vent de folie qui bouscule sa vie, la mère de famille refuse de sombrer ! Dans une mise en scène minimaliste et un espace confiné, un sursaut de dignité qui éclate dans une explosion de sons et lumières.
L’évidence s’impose : non, elle n’est pas toute seule, Mme Gluck, d’autres vivent la même galère ! Allez-y donc toutes et tous l’applaudir, surtout les femmes premières victimes des crises sociales, osez traverser la rue et, comme elle, espérer en de possibles lendemains qui chantent. Malgré les injonctions, diktats et lois qui oppressent, oppriment et répriment. Les mots reprennent sens, la vie des couleurs. Entre croître et croire, il nous faut choisir ! Yonnel Liégeois.
Croî(t)re ? Ou la fulgurante chute de Mme Gluck… et son irrésistible ascension, de et avec Sarah Pèpe : jusqu’au 26/07 à 14h15, relâche les mercredi. Théâtre Les lila’s,8 rue Londe, 84000 Avignon (Tel : 04.90.33.89.89).
Quand les femmes entrent en scène
– Celle qui (jusqu’au 14/07, 10h30) : Devant la glace, elle se veut et se fait belle ! Prête à sortir, à courir à la conquête du monde… Las, bloquée chez elle, elle se met à penser, à réfléchir : et si toute cette vie trépidante n’était qu’illusion ? La femme entreprenante, gagnante mais image bien pensante de la femme perdante, recluse dans un rôle assigné ? Romane Kraemer dans un « seule en scène », convaincant et percutant.
– L’apparence des choses (du 15 au 26/07, 10h40) : Au lendemain de la mort de son compagnon, Jade l’écrivaine a perdu goût de vivre et inspiration. Peut-être est venu le temps de s’interroger sur soi-même, de renaître à ses propres aspirations… Sous les accords de guitare, des instants de vie amoureusement écrits et interprétés par Alison Demay.
– Vivre nue (jusqu’au 26/07, 12h25) : La poésie incarnée ! Des doigts et de la voix, derrière et devant son piano, pour un bref instant son corps nu dans un éclair de lumière, Fane Desrues se révèle ensorcelante ! Un concert qui vous déshabille, où l’intime se pare de mille couleurs et saveurs… Avec sensualité et douceur, une voix pure qui monte dans les cintres et transporte le public au plus profond de ses rêves et sensations.
– L’histoire de la fille d’une mère (jusqu’au 26/07, 16h00) : Elle est déçue, elle souhaitait un garçon, elle accouche d’une fille ! Une malédiction qui s’abat sur la mère autant que sur la fille, qui nous est contée sur trois générations… De l’humour acerbe, de l’émotion à fleur de peau, Émilie Alfieri joue de toutes les nuances pour révéler combien l’enfance d’une enfant, brimée dans son statut de fille, marque durablement sa future vie de femme. Du poids de l’héritage familial, avec conviction et sensibilité.
– Mal élevée (jusqu’au 26/07, 18h00) : Elles l’affirment et le revendiquent haut et fort, Astrid Tenon et Laetitia Wolf furent mal élevées, en fait plus précisément élevées mal ! Il est temps d’en finir avec la politesse, de cesser de sourire en réponse à des propos violents ou déplacés. Surtout lorsqu’on est femme éduquée à se taire, acquiescer et encaisser… D’une énergie débordante, entre humour et sérieux, les deux comédiennes nous en mettent plein la vue. De la soumission à la libération.
Le local des autrices
Situé à Belleville, dans le 11ème arrondissement de Paris et porté par Sarah Pèpe, autrice, metteuse en scène et comédienne, le Local des autrices ambitionne de mettre en lumière les voix féminines, encore trop souvent invisibilisées. Avec sa programmation engagée, le lieu s’annonce comme un espace vivant, propice aux échanges et aux réflexions autour des thématiques féministes et sociales.
« Le monde artistique a historiquement été conçu par et pour les hommes. Quand on observe nos bibliothèques, nos musées, ou même les grandes scènes de théâtre, on voit principalement des œuvres d’hommes, des récits qui se nourrissent du point de vue et du désir masculins. Ces dernières ont façonné notre vision du monde, et nous avons été exclues de cette narration. Cela a conduit à la marginalisation de nombreuses voix, notamment celles des femmes, des personnes racisées et des minorités. Mon objectif ? Donner aux femmes la possibilité d’investir pleinement cet espace créatif. Et ce faisant, de réinventer l’imaginaire collectif, de l’enrichir en offrant une place centrale aux voix féminines et aux expériences diverses, celles qui ont été spoliées pendant des siècles. C’est aussi une manière de créer un monde plus riche et inclusif, où chaque histoire, chaque perspective a droit de cité. Cela s’inscrit dans une logique d’éducation populaire et de médiation culturelle, au-delà de la simple dimension théâtrale.
Mon ambition à long terme ? Faire de ce lieu un véritable espace de création et de réflexion, où chaque personne se sente légitime à prendre la parole, que ce soit en tant que spectateur.ice ou participant.e. Je souhaite que la voix des femmes et des minorités soit non seulement entendue, mais qu’elle devienne un moteur pour de nouveaux récits et débats. Le local des autrices doit être aussi un carrefour de rencontres humaines, où les gens viennent non seulement pour les spectacles, mais aussi pour rencontrer, échanger, discuter, oser l’altérité. Enfin, puisque l’argent diminue, puisque tout est fait pour créer de la concurrence entre les compagnies, réinventons l’échange, la mutualisation, le partage des ressources. Une autre façon de faire vivre les lieux de culture ! » Sarah Pèpe, propos recueillis par Périne
Sur le plateau de la Carrière Boulbon (13), dans le cadre du festival d’Avignon, Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte présentent Brel. Un spectacle imaginé à partir du répertoire du grand Jacques, un hommage intime qui se conjugue à deux, à l’ombre d’une voix.
Cela fait quarante-cinq ans qu’Anne Teresa De Keersmaeker danse, explore l’art de danser, créant des figures basées à la fois sur une approche géométrique et philosophique, accordant à la musique, classique ou contemporaine, une attention particulière, créant des espaces de dialogue et d’échange entre les gestes des danseurs et une partition de Bach ou de Steve Reich, de Schönberg ou de Miles Davis. Cela fait moins longtemps que Solal Mariotte, 25 ans, danse. Ses premières amours : le breakdance, l’univers des battles et des jams. Passage au conservatoire d’Annecy avant d’intégrer, en 2019, P.A.R.T.S., l’école dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker. En 2023, au Festival d’Avignon, il est distribué dans la chorégraphie de De Keersmaeker, Exit Above, un chassé-croisé dansé et chanté entre le blues organique des origines de Robert Johnson, et la Tempête de Shakespeare.
Un solo sur La Valse à mille temps
Elle a grandi en compagnie de Brel, ils sont belges tous les deux, ont en commun ce plat pays dont les paysages s’étirent vers une ligne d’horizon inaccessible mais vous poursuivent toute votre vie. Il a grandi sous d’autres cieux musicaux. Brel, il aime. Pas tout, dans le désordre, mais suffisamment pour proposer, dans le cadre de ses études, un solo sur la Valse à mille temps. Il est là, le point de départ de cette aventure, de ce spectacle au nom qui claque et rebondit contre la forteresse naturelle de la carrière de Boulbon.Brel. Tout commence par une ancienne chanson du répertoire qui jaillit des entrailles de la terre, le Diable, écrite en 1954. « Ça va », répète Brel, un brin provocateur, pas mal ironique devant l’état du monde. C’est un Brel en noir et blanc, encore débutant. Seul devant un micro, accompagné d’une guitare, la voix est déjà sûre, affirmée. Sur l’immense plateau vide cerné par sa muraille naturelle, un micro sur pied dans un rond de lumière vide. Les paroles de la chanson s’affichent mais nul ne songe à « karaoker » dessus. Le silence tient du recueillement.
La voix de Brel s’élève dans le ciel. Anne Teresa De Keersmaeker s’avance en tailleur-pantalon gris, col roulé noir. Elle tourne et tourne autour du cercle de lumière qu’elle ne franchira pas. C’est la place de Brel. Il sera le troisième personnage du spectacle. Au loin, on entend des exclamations qui parviennent à peine à parasiter la voix du chanteur. Solal Mariotte est tout en haut de la falaise, il ne rejoindra le plateau qu’après avoir dévalé les échafaudages métalliques qui surplombent le plateau. De Keersmaeker et Mariotte vont danser sur une petite trentaine de chansons qu’ils ont choisies ensemble. Un 33-tours bien à eux, un bon vieux vinyle où l’on retrouve la Fanette, les Bourgeois, les Flamands versus les Flamingants, la Chanson des vieux amants, Vesoul, Amsterdam, Bruxelles, Quand on a que l’amour… Une traversée dansée d’un récital taillé sur mesure pour deux danseurs et un chanteur dont le visage, parfois, est projeté sur la paroi.
Chacun sa grammaire pour danser Brel
Seuls d’abord, éloignés physiquement… Il faudra attendre de longues minutes pour que Mariotte croise De Keersmaeker sur le plateau, chacun dansant son Brel avec sa propre grammaire. L’une fougueuse, aux figures chorégraphiques acrobatiques syncopées et pourtant synchrones avec les lignes mélodiques des chansons ; l’autre à la gestuelle minimaliste et précise se déployant en cercles concentriques dont le centre ne cesserait de se déplacer. Plus tard, De Keersmaeker va se dénuder. Sa silhouette joue à cache-cache avec les lumières. De ses bras elle enlace son corps, tandis que sur son dos, ses fesses, est projeté le visage de Brel. On retient son souffle devant la beauté du geste. On oublie le discours sur l’intergénérationnel, la différence d’âge, la belgitude… Dans les chansons, on entend un Brel agacé par l’hypocrisie des puissants. Son humanisme passe par des piques envoyées au détour d’une phrase, d’un mot. Et puis, il nous parle d’amour, il fait danser l’amour au rythme d’une Valse à mille temps, d’un Tango funèbre, tandis que l’accordéon de Marcel Azzola chauffe, chauffe…
La magie opère, entre les paroles sublimées par les gestes des danseurs. Entre les solos, deux duos, joyeux, un peu chaplinesques, et toujours les chansons de Brel, qui se suivent dans un ordre chronologique : l’enfance, la jeunesse, la maturité, la vieillesse jusqu’à la mort avec Jojo, composé en 1977, qui figure dans le dernier album de Brel. 1954-1977, la boucle est bouclée, le bras du tourne-disque tourne dans le vide et on imagine le vinyle craquer sous les coups de butoir de l’aiguille. Les projecteurs s’éteignent. Noir, les danseurs et Brel se sont éclipsés. Fin de ce gala hors d’âge, hors du temps. Marie-José Sirach, photos Christophe Raynaud de Lage
BREL, Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte : jusqu’au 20/07, à 22h00. La carrière Boulbon, 13150 Boulbon (Tél. : 04.90.14.14.14).
Au théâtre de la Scala d’Avignon (84), Marie Torreton présente Prière aux vivants. Le récit de Charlotte Delbo, résistante et rescapée des camps de la mort : dans la nuit d’Auschwitz, la solidarité entre femmes et une lueur d’espérance au cœur de l’inhumanité. Entre horreur et douceur, un spectacle d’une rare puissance.
Seule une petite lumière pour éclairer la scène de la Scala… Une femme s’avance, belle dans le clair-obscur, le visage serein. Les mots s’échappent, d’abord timidement, pour s’envoler ensuite en un flot continu. Prière aux vivants ? Un long monologue, comme l’interminable appel du matin dans la cour d’Auschwitz, le corps dans le froid et les pieds dans la neige. Et Charlotte Delbo (1913-1985) de se réciter Le Misanthrope pour résister, ne pas sombrer ! L’ancienne assistante de Louis Jouvet, au théâtre de l’Athénée, se souvient tandis que des femmes tombent d’épuisement à ses côtés, d’autres sélectionnées et emportées sur le chemin du crématoire.
« Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs, quand c’est d’un ailleurs aux autres inimaginable, c’est difficile de revenir.
Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs, quand c’est d’un ailleurs qui n’est nulle part, c’est difficile de revenir. Tout est devenu étranger dans la maison pendant qu’on était dans l’ailleurs. Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs, quand c’est d’un ailleurs où l’on a parlé avec la mort, c’est difficile de revenir et de reparler aux vivants.
Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs, quand on revient de là-bas et qu’il faut réapprendre, c’est difficile de revenir ».
De la trilogieAuschwitz et après, le titre de la pièce emprunté àPrière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants, Marie Torreton a puisé des images qui racontent l’horreur absolue, l’innommable. Pour les confier au plus près du public, sobrement, sans pathos superflu… Un contraste saisissant entre la douceur de la voix et la violence insoutenable des faits et gestes qui nous sont narrés : promiscuité et insalubrité des baraquements, faim et soif qui taraudent les organismes, odeur de la mort et des fumées qui s’élèvent dans le ciel.
« Je vous en supplie, faites quelque chose. Apprenez un pas, une danse, quelque chose qui vous justifie, qui vous donne le droit d’être habillé de votre peau, de votre poil. Apprenez à marcher et à rire, parce que ce serait trop bête à la fin. Que tant soient morts, et que vous viviez sans rien faire de votre vie ».
De temps à autre, la comédienne esquisse un geste, se rapproche et plonge son regard dans celui des spectateurs. L’émotion à fleur de peau, alors reprennent vie les visages des compagnes d’infortune de Charlotte Delbo, Viviane et Lulu, Cécile et les autres. Solidaires dans l’enfer du camp, certaines condamnées à une mort annoncée, toutes dont la survivante a fait promesse de perpétuer le souvenir.
Dans la mise en scène épurée de Vincent Garanger, Marie Torreton épouse avec délicatesse les maux et mots de la rescapée. Une parole murmurée qui force le respect, une précieuse invitation à écouter, dans un silence haletant, celle qui se remémore et se récite incessamment 57 poèmes pour rester debout, qui sans la poésie aurait sombré dans une nuit sans fin mais en est revenue… Un voyage au bout de la nuit dont il est pourtant difficile de revenir, « quand c’est d’un ailleurs où l’on a parlé avec la mort ». Du temps d’avant au temps présent, jaillit alors la lumière pour éclairer notre devenir, faire face à l’adversité et chanter la fraternité. Un spectacle d’une rare puissance. Yonnel Liégeois, photos Thomas O’Brien.
Prière aux vivants, Marie Torreton : jusqu’au 27/07 à 10h10, relâche les 14-21/07. Théâtre de la Scala, 3 rue Pourquery de Boisserin, 84000 Avignon (Tél. : 04.65.00.00.90).