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Frantz Fanon, figure du tiers-mondisme

Le 20 juillet 1925, à Fort-de-France en Martinique, naissait Frantz Fanon. Le centenaire de la naissance d’une figure majeure du tiers-mondisme et de l’anticolonialisme, solidaire du combat du FLN en Algérie. Un personnage historique, médecin et essayiste, mis en lumière par le street artiste JBC avec sa fresque spectaculaire réalisée à Montreuil (93) ! Sans oublier le roman graphique Frantz Fanon signé Frédéric Ciriez et Romain Lamy, ainsi que la biographie Frantz Fanon, une vie en révolutions d’Adam Shatz.

Il fut l’ancêtre des « french doctors » en leur ajoutant une dimension révolutionnaire et littéraire. Un Français qui partage avec Jacques Derrida le paradoxe d’être davantage étudié dans les universités américaines que françaises. Il est vrai que Fanon, né Frantz à Fort-de France et enterré Omar Fanon à Aïn Kerma en Algérie, aura du attendre que soient à peu près cicatrisées les séquelles de la guerre d’Algérie pour retrouver droit de cité dans les facultés de l’hexagone.

Autant qu’un petit français de Martinique, c’est un futur républicain forcené qui naît en 1925, fils d’un fonctionnaire des douanes, franc-maçon comme l’est à l’époque la petite bourgeoise radicale-socialiste de l’île. L’élève du Lycée Victor-Schoelcher de Fort-de-France est aussi brillant que le sera l’étudiant, quelques années plus tard, de la Faculté de Médecine de Lyon. Entretenu pour expliquer son évolution, un mythe est à détricoter : il ne fut pas l’élève d’Aimé Césaire, poète et chantre de la négritude. En revanche, le lycéen de 17 ans, pas encore bachelier, rejoint clandestinement la Dominique en 1942 pour s’enrôler dans les Forces de la France Libre. Fanon entend défendre cette République qui, en 1848, a aboli l’esclavage. Le débarquement de l’Amiral Robert quelques mois plus tôt, avec 10 000 marins pour appliquer les lois de Vichy, achève de le convaincre. Sa candidature rejetée, il regagne le Lycée Schoelcher jusqu’en 1944.

À 19 ans, il peut intégrer le 5ème Bataillon de Marche des Antilles et arrive à Casablanca pour y attendre le débarquement de Provence. Au commencement, les notes du livret militaire ne sont guère brillantes. On passe de « soldat quelconque au mauvais esprit » à « élève brillant mais esprit militaire douteux » avant d’atteindre en avril 1944 « s’est révélé courageux et de sang-froid. Fait l’admiration de ses camarades. Blessé et cité ». C’est à Casablanca qu’il prend conscience de la société racialisée dans laquelle il est appelé à évoluer. Le camp y est divisé en trois sections : les Européens auxquels sont assimilés les 500 Antillais parce que citoyens français, les Arabes « indigènes » et enfin les « Sénégalais » qui regroupent tous les ressortissants de l’Afrique noire française. Son bataillon remonte le Rhône, atteint le Doubs en plein hiver avant Strasbourg qu’il est chargé de libérer. La propagande hitlérienne usant du « nègre qui violera vos femmes s’il n’est pas cannibale » a fait son œuvre. La population libérée craint ses soldats « de couleur ». Et l’attitude de la hiérarchie militaire, forcément blanche, en ajoute au désappointement dont il fait part à ses parents dans une lettre du 12 avril 1945 : « Aujourd’hui, il y a un an que j’ai quitté Fort-de-France. Pourquoi ? Pour défendre un idéal obsolète. Je doute de tout, même de moi… Je me suis trompé ». Cette confrontation à la vision du noir, même antillais, par le Français de métropole, l’ouvre à la réalité du fait colonial.

Retour à Fort-de-France en 1945, il y passe son bac. Lecture passionnée des philosophes Maurice Merleau-Ponty et Jean-Paul Sartre. Actif soutien à la candidature d’Aimé Césaire aux législatives. Il entre ensuite à la Faculté de Médecine de Lyon avant d’intégrer l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban en Lozère où il rencontre son maître de stage André Tosquelles et des pratiques de traitement en décalage avec la doxa de l’époque. En 1952, Frantz Fanon publie Peau noire, masques blancs : un essai vigoureux et volontiers satirique, dans lequel il interroge l’aliénation et les relations Noirs-Blancs. Nommé en 1953 médecin-chef d’une division psychiatrique de l’hôpital de Blida-Joinville en Algérie, il découvre un univers psychiatrique conformiste, mâtiné d’esprit colonialiste, ségrégant Européens et « indigènes ». Sa prise de conscience du fait colonial continue de se parfaire lorsqu’il doit traiter des tortionnaires de la police française. L’hôpital ayant hébergé clandestinement des combattants des deux organisations indépendantistes, l’Armée de libération nationale (ALN) et le Front de libération nationale (FLN), Robert Lacoste, gouverneur du territoire, expulse Fanon, croit-il, vers Paris.

Le militant anticolonialiste et tiers-mondiste rejoint en fait Tunis. Il y exerce son travail de psychiatre dans un hôpital déserté par les Français et devient ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne. Il collabore à l’organe de presse du FLN, El Moudjahid, dont il devient l’un des principaux rédacteurs. En 1959, il publie L’an V de la révolution algérienne (aussi appelé Sociologie d’une révolution). En 1961, affaibli par une leucémie, il rencontre Jean-Paul Sartre à Rome pour trois jours de conversations ininterrompues. Dont le philosophe tirera la substance de la préface, tant souhaitée par Fanon, de son dernier ouvrage qui deviendra un  classique mondial de la littérature politique de combat. Les damnés de la terre ? Un élément d’enseignement dans la plupart des universités américaines aujourd’hui. Frantz Fanon meurt aux États-Unis le 6 décembre 1961, quelques mois avant l’indépendance de l’Algérie. Alain Bradfer

Les écrits de Frantz Fanon : Œuvres (Peau noire, masques blancs / L’An V de la révolution algérienne / Les damnés de la terre / Pour la révolution africaine. La Découverte, 800 p., 30€00). Écrits sur l’aliénation et la liberté (La découverte, 832 p., 18€00).

La fresque (voir photo ci-dessus) : l’œuvre du street artiste JBC, réalisée à Montreuil (93), se donne à voir à l’angle du  160 Boulevard Théophile Sueur et de la rue Maurice Bouchor.

Le film de Jean-Claude Barny (2024) : Fanon, avec Alexandre Bouyer (Frantz Fanon), Déborah François (Josie Fanon), Olivier Gourmet (Darmain), Stanislas Merhar (le sergent Rolland), Mehdi Senoussi (Hocine).

Toujours disponible sur le site de Radio France, les Grandes Traversées de France Culture : Frantz Fanon l’indocile, le podcast d’Anaïs Kein en cinq épisodes.

FANON, CIRIEZ ET LAMY

Signé Frédéric Ciriez et Romain Lamy, un magnifique ouvrage d’une fulgurante audace qui nous plonge dans la vie et les combats du célèbre psychiatre martiniquais, durablement engagé en faveur de l’indépendance algérienne. D’un dessin l’autre, grâce à la couleur et au graphisme original, le décryptage à portée de chacun d’une réflexion souvent complexe. Les deux auteurs, de la plume et du crayon, nous projettent à Rome, lorsque Fanon rencontre Sartre le philosophe : le dialogue entre deux grands de la pensée, deux mondes et deux couleurs de peau. Ce roman graphique se donne à lire non seulement comme la biographie intellectuelle et politique de Frantz Fanon mais aussi comme une introduction originale à son œuvre, plus actuelle et décisive que jamais (La Découverte, 240 p., 28€). Yonnel Liégeois

Frantz Fanon, le damné

Aux éditions La Découverte, Adam Shatz a publié Frantz Fanon, une vie en révolutions. La biographie d’un « damné » auquel la France n’a pas pardonné son soutien à l’Algérie indépendante, un penseur éminemment reconnu aux États-Unis. Paru dans le mensuel Sciences Humaines (N°368, mai 2024), un article de Frédéric Manzini.

Même né il y a près d’un siècle, Frantz Fanon (1925-1961) reste notre contemporain. Remise au centre des débats de société par le mouvement Black Lives Matter notamment, son œuvre radicale interpelle et suscite encore des polémiques. Après tout, ne contient-elle pas, au nom de la lutte anticoloniale, une apologie du terrorisme ? Pour nous faire mieux comprendre ce qu’il appelle la « vie en révolutions » de Frantz Fanon (« revolutionary lives » dans la version originale anglaise), l’essayiste Adam Shatz, rédacteur en chef pour les États-Unis de la London Review of Books, brosse de lui un portrait tout en complexité et en nuances grâce aux témoignages de ceux qui l’ont intimement connu.

Révolutionnaire fervent, écrivain passionné

Pendant toute sa courte existence, l’auteur de Peau noire, masques blancs (1952) justifia le recours à une certaine forme de violence comme moyen pour les opprimés de regagner leur dignité et le respect d’eux-mêmes. Son expérience personnelle du racisme, sa pratique clinique auprès des malades dans les différents hôpitaux où il a exercé comme psychiatre, sa fréquentation des philosophes – notamment Jean-Paul Sartre –, son opposition à l’idée d’une « négritude » qui figerait l’homme noir dans une essence, son engagement corps et âme en faveur du FLN : tout l’a conduit à devenir ce révolutionnaire fervent et cet écrivain passionné, parfois lyrique, toujours animé par les idéaux républicains de liberté, d’égalité et de fraternité qu’il a tout fait pour traduire en actes.

Son combat pour l’indépendance de l’Algérie lui vaudrait, selon Adam Shatz, une certaine rancune en France, qui expliquerait qu’il n’occupe pas toute la place que sa pensée mérite sur la scène intellectuelle de ce côté-ci de l’Atlantique. « Près de six décennies après la perte de l’Algérie, la France n’a toujours pas pardonné la “trahison” de Fanon », écrit-il. Cette importante biographie contribuera peut-être à faire évoluer les choses. Frédéric Manzini

Frantz Fanon. Une vie en révolutions, d’Adam Shatz (La découverte, 512 p., 28€).

Dès sa création, Chantiers de culture a inscrit le mensuel Sciences Humaines sur sa page d’ouverture au titre des « Sites amis ». Un excellent magazine dont la lecture est vivement conseillée.

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Libraire, aimer les livres et les gens

Libraire à Folies d’encre, à Montreuil (93), Antonin Bonnet raconte son métier au quotidien. Entre passion de la lecture, manutention et tout le travail effectué autour des livres. Plongée au cœur d’une profession qui mêle gestion, échange d’idées et contacts humains.
 

Folies d’encre à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, une librairie qui, bien que située au-delà du périphérique, a su s’imposer dans le milieu parisien. Née il y a 44 ans, devenue aujourd’hui une institution, elle est la première librairie généraliste indépendante à avoir été créée dans le 9-3. L’organisation de rencontres avec des auteurs et des personnalités – Mona Chollet, Amélie Nothomb, Christiane Taubira ou même François Hollande – lui confère une notoriété de librairie engagée comme le suggère son adresse, avenue de la Résistance. En témoignent les rayonnages avec un large choix d’ouvrages sur les problématiques sociétales. L’évènement de la veille est encore à l’affiche : l’accueil de l’historien Patrick Boucheron, spécialiste du Moyen  Âge, qui présentait son dernier livre Libertés urbaines (CNRS éditions). « J’anime les rencontres avec le public. Ça implique de lire l’ouvrage, de connaître l’auteur, mais ce n’est pas un travail de journaliste », note Antonin Bonnet, « on assure la promotion et il n’y a pas de questions pièges ».

Antonin le libraire est arrivé au métier par des détours inattendus. Inscrit à la fac en philo, puis en histoire, il a tenté de concilier études et travail. « Ce n’était pas tenable. J’ai fait plein de métiers : sondages, vendanges, débardage dans la forêt, technicien de surface… Ensuite, durant plusieurs années, j’ai effectué des remplacements comme concierge. À un moment donné, je me suis inscrit à Pôle emploi. En raison de mon goût pour la lecture, on me conseille un brevet d’apprentissage de libraire. C’est ainsi qu’en 2015, j’ai 25 ans, je postule comme apprenti chez Folies d’encre ». Après deux ans d’apprentissage et l’obtention de son diplôme en 2017, le jeune homme est embauché.

Assez rapidement, l’apprenti creuse son sillon et se spécialise dans les sciences humaines et les essais. Grand lecteur, il rédige des notules à destination des clients sur de petites fiches cartonnées accrochées sur les livres. Et devient chef de rayon. « La responsable de la littérature est partie en retraite, le collègue des sciences humaines l’a remplacée ». En parallèle, il donne des cours à « Clermont-Ferrand ou Laval sur l’histoire de la librairie, la loi Lang (qui a instauré le prix unique du livre en 1981, ndlr) ou encore sur ce qu’on appelle les livres de fonds (ceux qu’on distingue des nouveautés) en ethnologie, sociologie et psychologie… ».

Le livre est un objet qui exige beaucoup de manutention : la réception, les retours, la mise en rayon…. « Si on n’amène pas de l’énergie en permanence, ça peut vite tourner au chaos ». Il y a la gestion des offices (nouveautés, sorties du jour) et le réassort. « Ce sont des principes qui s’appliquent à tous les magasins, car la librairie, c’est aussi un commerce qu’il faut gérer, et le mieux possible pour durer », explique Antonin. Avant de conclure : « Venir à ce métier par idéal n’est pas suffisant. Ce n’était pas mon cas, car j’avais aussi besoin de manger. De toute façon, si tu ne gères pas l’aspect commercial, tu ne vends pas et tes idées ne passent pas non plus ». Sa conviction profonde ? « Être libraire, c’est d’abord et surtout aimer les livres et les gens ». Régis Frutier, photos Bapoushoo

Librairie Folies d’encre : 9 avenue de la Résistance, 93100 Montreuil (Tél. : 01.49.20.80.00). Ouverture : lundi (12h-19h), du mardi au samedi (10h-19h).

Avec un réseau de près de 3 500 librairies, la France est l’un des pays où le nombre de librairies est le plus important au monde. Elles représentent 40% du marché devant les grandes surfaces culturelles, la grande distribution et Internet. Elles souffrent aujourd’hui de l’explosion du prix de l’immobilier, et de la concurrence acharnée des plateformes numériques. Leur atout majeur ? Le dialogue et le conseil au lecteur. Le secteur de la librairie emploie 14 000 salariés. Le salaire moyen dans la profession est de 1720€ net. Près de 75 000 nouveautés paraissent chaque année (Source : Syndicat de la librairie française).

Pennac et les droits du lecteur

Professeur de français, écrivain (La saga Malaussène), Daniel Pennac a publié un roman autobiographique, Chagrin d’école (prix Renaudot 2007), dans lequel il raconte son parcours de cancre. Un bouquin émoustillant pour des élèves qui ont des difficultés en classe malgré leur volonté de bien apprendre. Outre cet ouvrage, il a transmis ses « 10 commandements » de lecture dans un essai paru en 1992, Comme un roman. En fait, il s’agit bien plutôt de « droits » que le lecteur peut s’accorder de sa propre autorité :

1. Le droit de ne pas lire

2. Le droit de sauter des pages

3. Le droit de ne pas finir un livre

4. Le droit de relire

5. Le droit de lire n’importe quoi (même s’il y a des bons et des mauvais romans)

6. Le droit au bovarysme (c’est-à-dire à la passion quand on lit)

7. Le droit de lire n’importe où

8. Le droit de grappiller (commencer un livre par le milieu !)

9. Le droit de lire à haute voix

10. Le droit de nous taire (taire nos sentiments à l’égard du livre)

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Classé dans Littérature, Rencontres

Zahia Ziouani, à la baguette !

Stade de France le 11/08, en la cité royale de Saint-Denis (93), une grande première pour un événement à résonance mondiale : à la tête de son ensemble symphonique Divertimento, la cheffe d’orchestre Zahia Ziouani dirige à la baguette la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Paris 2024 ! Malgré les embûches, élevée en Seine-Saint-Denis par des parents venus d’Algérie, elle crée son  ensemble symphonique. Un parcours exceptionnel qui ouvre la voie à d’autres jeunes de banlieue, filles et garçons.

Pantin en banlieue parisienne, la ville où Zahia Ziouani a grandi, là où elle vit toujours… C’est là où les parents, immigrés algériens, se sont installés dans les années 1980. Des parents mélomanes : quand il arrive en France, le père achète très vite un transistor. Branché sur France Culture, il devient un grand amateur de musique classique (Mozart et Beethoven) et d’opéra (La Flûte enchantée, les Noces de Figaro). Quand Zahia et sa sœur jumelle Fettouma ont 8 ans, leur mère veut les inscrire au conservatoire de musique de Pantin, mais il ne reste qu’une place. C’est leur petit frère qui l’obtiendra. Qu’à cela ne tienne, la maman accompagne son fils, elle suit tous les cours. De retour à la maison, elle les prodigue à ses filles. Quand des places se libèrent en cours d’année, les jumelles peuvent intégrer le conservatoire sans avoir perdu de temps. Au fur et à mesure de sa formation, Zahia s’épanouit en cours de guitare mais elle envie sa sœur qui, au violoncelle, a accès à l’orchestre. Elle choisit alors l’alto, l’instrument à cordes placé au centre des orchestres symphoniques !

Elle redouble d’efforts pour pouvoir intégrer l’orchestre du conservatoire. Et le rôle de chef la fascine de plus en plus. Elle emprunte des conducteurs d’orchestre à la partothèque du conservatoire. C’est un déclic, elle découvre un monde qui semblait l’attendre, comme une évidence, mais aussi comme un rêve inatteignable. Tous les chefs d’orchestre qu’elle découvre sont des hommes âgés, pas des jeunes femmes comme elle. Pour continuer leur parcours de musiciennes douées, les sœurs Zahia et Fettouma intègrent le prestigieux lycée Racine à Paris, qui propose des horaires aménagés pour les jeunes musiciens de haut niveau. Difficile pour elles de faire leur trou, tant elles sont vues comme « les filles qui viennent de banlieue ». Mais leur détermination et leur talent forcent l’admiration. L’autre déclic ? La rencontre lors d’une masterclass avec le grand chef roumain Sergiu Celibidache qui lui dit de s’accrocher « parce que souvent les femmes manquent de persévérance« . Il n’en fallait pas plus pour motiver encore plus Zahia.

Une fois ses diplômes obtenus, Zahia se rend compte qu’il sera difficile pour elle de trouver un poste de chef d’orchestre. Elle a l’idée de créer son propre ensemble, la femme d’à peine vingt ans fonde Divertimento avec les meilleurs musiciens qu’elle côtoie à Paris et en Seine-Saint-Denis.. Pas un projet « socio-culturel », avant tout un orchestre professionnel reconnu sur le plan musical… Avec Fettouma et son frère, elle organise des tournées et décide d’installer cet orchestre en Seine-Saint-Denis. Un engagement politique, militant : faire le pari du 93. La cheffe défend l’idée que les habitants des banlieues ont droit à la même qualité, au même accès à ce qui est exigeant, ce qui est beau. Malgré les difficultés matérielles : le département n’a pas les infrastructures pour accueillir un orchestre symphonique, pas de salle assez grande. D’où l’obligation de se délocaliser pour répéter en formation, par exemple à la Seine Musicale des Hauts-de-Seine. Sa vocation ? Aller jouer dans les salles les plus prestigieuses comme auprès des publics les plus défavorisés.

Zahia Ziouani, un symbole ? Elle répond modestement qu’elle se voit surtout comme un message d’espoir. Son parcours doit inspirer les jeunes filles qui ont des grands rêves. Elle passe du temps dans les collèges et les lycées pour dire aux jeunes que tout est possible, à condition de travail et d’exigence. Si les politiques la saluent souvent, elle n’est pas dupe, mais elle veut se servir de cette attention pour faire avancer les projets culturels dans les quartiers défavorisés. Son histoire inspire le cinéma : en ce mois de janvier sort Divertimento, le film qui retrace son parcours et celui de sa sœur. Un film qui parle de jeunes des banlieues populaires qui réussissent, une victoire pour Zahia. Amélie Perrier, journaliste à Radio France

Le fabuleux destin de Zahia et Fettouma

Sorti en 2023 sur les écrans, désormais disponible en DVD, le film Divertimento retrace l’extraordinaire parcours de Zahia Ziouani et de sa famille. Sous les traits de Oulaya Amamra (Zahia) et Lina El Arabi (Fettouma), la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar brosse le portrait des deux sœurs, jumelles et musiciennes : du conservatoire de Pantin en banlieue parisienne, dans le 9-3, au prestigieux lycée parisien Racine ! Niels Arestrup incarne à la perfection le maître, le grand chef d’orchestre Sergiu Celibidache. L’autre grande qualité du film ? Pour les séquences musicales, la réalisatrice a filmé de vrais instrumentistes plutôt que des acteurs. Pour tous les amoureux de la diversité culturelle, mélomanes néophytes ou aguerris, un superbe et grand film à voir et à écouter ! Yonnel Liégeois

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Jack Ralite, double hommage

Le 14/05, au théâtre Zingaro d’Aubervilliers (93), se déroule une soirée en hommage à Jack Ralite. Le 16/05, à Bobigny (93), Christian Gonon présente La pensée, la poésie et le politique. Théâtre, cinéma, littérature : la culture fut au cœur des préoccupations de l’ancien maire et ministre ! Au lendemain de sa mort en 2017, un entretien avec Denis Gravouil, alors secrétaire général de la CGT Spectacle.

Christine Morel : Quelle fut la place de Jack Ralite dans le milieu du spectacle ?

Denis Gravouil : Nous le connaissions à plus d’un titre. D’abord parce que Jack Ralite s’est   intéressé aux questions de culture, ensuite parce qu’il fut un soutien très fort dans les batailles contre les remises en cause du régime d’assurance chômage des artistes et techniciens intermittents du spectacle. Il a toujours été présent à nos côtés sur ces deux terrains, les orientations de notre ministère de tutelle et la défense des droits sociaux. Si les deux sujets sont liés, il avait compris qu’il ne faut pas les confondre. Le combat politique pour la culture concerne tous les acteurs du secteur, les professionnels (artistes, techniciens, agents du ministère de la culture…) comme le public. Et le public, c’était son grand souci ! Lui-même n’était pas un professionnel de la culture, même s’il fut administrateur dans plusieurs établissements culturels. Il était un infatigable spectateur, passionné de spectacle. Il allait quasiment tous les soirs au théâtre ou au concert, on le croisait tous les étés au festival d’Avignon et cela jusqu’en 2016 alors qu’il était déjà très fatigué… Féru de cinéma, Jack Ralite était aussi un habitué du festival de Cannes.

C.M. : Quel rôle a-t-il joué dans la lutte pour les droits sociaux des intermittents du spectacle ?

D.G. : Dès sa création en 2003, il a fait partie du comité de suivi de la réforme du régime d’indemnisation chômage des intermittents à l’Assemblée nationale, instance de discussion entre parlementaires et organisations qui avaient lutté contre la réforme et la forte réduction des droits qu’elle induisait. Il en était d’ailleurs l’un des piliers avec Etienne Pinte (député UMP) et Noël Mamère (député écologiste). Si la capacité de Jack Ralite à faire le lien entre des gens de divers bords et de bonne volonté a été incontestablement utile, ses interventions et ses écrits furent également un grand soutien dans la lutte des intermittents. Quand il parlait, tout le monde se taisait pour écouter ! Le 16 juin 2014 à l’occasion d’une très grosse manifestation,  il nous a adressé un texte de soutien. Intitulé « Avec vous fidèlement », il commençait par un petit extrait du poème La Rage de Pasolini et il se terminait par « Vous êtes souffleurs de conscience et transmettez une compréhension, une énergie, un état d’expansion, un élan. Adressez-vous à ceux qui rient, réfléchissent, pleurent, rêvent à vous voir et vous entendre jouer. Surtout que le fil ne soit pas perdu avec eux. « L’homme est un être à imaginer », disait Bachelard. A fortiori les artistes et techniciens de l’art que vous êtes. Solidarité, frères et sœurs de combat et d’espérance. Avec vous, comme disent beaucoup de personnages de Molière : « J’enrage ». Avec lui, c’était toujours de beaux textes, d’une grande culture, magnifiquement écrits et qui disaient les choses avec une grande justesse. C’est cela aussi la culture, les beaux textes !

C.M. : Quel fut son apport sur le volet de la politique culturelle, lui qui ne fut jamais ministre de la culture ?

D.G. : Jack Ralite est connu pour les États généraux de la culture qu’il a lancés en février 1987 au Théâtre de l’Est Parisien pour réagir à la marchandisation de la culture. Non seulement il réagissait, il voulait aussi proposer autre chose. Tous ceux qui étaient intéressés ont donc été conviés à en débattre aux États Généraux de la Culture, « un sursaut éthique contre la marchandisation de la culture et de l’art, et contre l’étatisme. Une force qui veut construire une responsabilité publique sociale, nationale et internationale en matière de culture », écrivait-il. Rapidement, ils ont essaimé à travers la France, puis l’Europe : en 1989, la Commission Européenne adopte la directive « télévision sans frontière » (60% d’œuvres européennes et nationales dans les télévisions, si possible) et en décembre 1994, avec l’appui de l’exécutif français, les négociations du GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), qui remettaient notamment en cause les politiques de soutien au cinéma, aboutissent à la création de « l’exception culturelle ». Mais la contre-offensive ne tarde pas, selon les propres mots de Jack Ralite, « peu à peu, l’esprit des affaires l’emporte sur les affaires de l’esprit dans la visée des deux grands marchés d’avenir, l’imaginaire et le vivant ».

C.M. : En 2014, il s’est associé à l’appel qui dénonçait le désengagement de l’État de la politique culturelle…

D.G. : Oui, en février 2014 Jack Ralite fut la plume de l’appel « La construction culturelle en danger » adressé à François Hollande et signé par des centaines d’artistes de toutes disciplines, mais aussi des chercheurs, des syndicalistes (CGT, CFDT, FSU, UNSA et SUD-Solidaires). Pour dénoncer la vision comptable du budget du ministère de la culture (en chute de près de 6% entre 2012 et 2014), les baisses de subventions aux collectivités territoriales, etc… « La politique culturelle ne peut marcher à la dérive des vents budgétaires comme la politique sociale d’ailleurs avec qui elle est en très fin circonvoisinage. « L’inaccompli bourdonne d’essentiel », disait René Char », ainsi se terminait l’appel. Sous l’égide du metteur en scène Gabriel Garran et de Jack Ralite, le théâtre d’Aubervilliers, devenu le Théâtre de La Commune, fut en 1971 le premier Centre dramatique national créé en banlieue. C’est tout l’esprit de la décentralisation que viennent mettre en péril les politiques actuelles de restriction budgétaire et de désengagement de l’État.

C.M. : Ce que prépare l’actuelle ministre de la culture semble achever de tout balayer en matière de politique culturelle ?

D.G. : Tout ce qui a fait la décentralisation culturelle est nié : non seulement des compétences, soit-disant redonnées aux régions, en réalité voient leurs budgets se réduire, mais la pluralité des modes de financements qui permettait la diversité de spectacles serait empêchée par le guichet unique des subventions… En 2014, nous écrivions, avec Jack Ralite « Beaucoup de ce qui avait été construit patiemment se fissure, voire se casse et risque même de disparaître. Le patrimoine dans sa diversité, le spectacle vivant dans son pluralisme, l’écriture, les arts plastiques, les arts de l’image et l’action culturelle sont en danger. Le ministère de la culture risque de n’être plus le grand intercesseur entre les artistes et les citoyens. Il perd son pouvoir d’éclairer, d’illuminer ». Aujourd’hui, nous pourrions écrire exactement la même chose sauf que là, ce qui nous attend est pire qu’en 2014 : la destruction du tissu culturel est programmée, sans autres raisons qu’idéologiques !

C.M. : Héritière d’une tradition fondée sur une relation forte à l’émancipation, la CGT s’est engagée « pour une démocratie culturelle ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

D.G. : Selon la CGT, la culture n’est pas réservée à une élite. Comme l’énoncent Jean Vilar et Vitez, elle estime qu’«  il faut faire du théâtre élitiste pour tous ». C’est important qu’une confédération syndicale affirme que la culture n’est pas une affaire de spécialistes. Elle est pour tout citoyen le moyen de réfléchir et d’échanger, de mettre en mouvement nos intelligences et nos sensibilités, de s’approprier ce que nous voulons faire de nos vies… La culture devrait être un investissement politique dans tous les sens du terme, par et pour tout le monde, comme l’expression de ce qui fait société. Propos recueillis par Christine Morel

Hommage à Jack Ralite : Le 14/05, à partir de 18h30, Paroles artistiques et citoyennes. Théâtre Zingaro, 176 avenue Jean-Jaurès, 93300 Aubervilliers (Inscriptions : amis.jack.ralite@gmail.com).

Christian Gonon, dans « La pensée, la poésie et le politique »

La pensée, la poésie et le politique : Le 16/05 à partir de 18h30, spectacle à 20h. Christian Gonon, de la Comédie Française, livre sur les planches les mots et réflexions de Jack Ralite, extraits du livre au titre éponyme de Karelle Ménine. Salle Pablo Neruda, 31 avenue du président Salvador Allende, 93000 Bobigny (Tél. : 01.41.60.93.93).

 Jack Ralite, un homme de parole

Jack Ralite s’est éteint le 12 novembre 2017, à l’âge de 89 ans. Ministre de la santé de François Mitterrand, délégué à l’emploi, maire d’Aubervilliers de 1984 à 2003, député (1973-1981) et sénateur (1995-2011) de Seine-Saint-Denis, l’homme et l’élu communiste fut, durant cinquante ans, une figure majeure de la vie politique française. Intime des textes, aimant à citer les auteurs, passionné de théâtre et de cinéma, de poésie et de toutes les formes d’arts… Infatigable spectateur, fidèle aux artistes mais aussi à la banlieue, militant de la décentralisation culturelle et de l’audiovisuel public, il n’aura jamais dérogé à ses convictions. Il fut administrateur de plusieurs établissements culturels : le Théâtre national de la Colline, le Théâtre du Peuple de Bussang, la Cité de la musique.

Deux réalisations-réflexions lui tenaient spécialement à cœur : la création des « Leçons du Collège de France » en sa bonne ville d’Aubervilliers, surtout son intense dialogue avec le chercheur-enseignant Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail au CNAM, sur la thématique culture-travail. Quels que soient ses interlocuteurs, Jack Ralite n’engageait jamais le dialogue avec des certitudes préétablies. Solide sur ses convictions, il écoutait d’abord, se laissait interroger voire interpeller par le propos partagé. Jamais un feu follet qui fait une apparition ou dispense la bonne parole avant de s’éclipser, mais toujours présent du début à la fin de chaque débat-rencontre-colloque où il s’était engagé. Ralite ? Un homme de parole, au sens fort du terme.

« Je n’ai pu me résoudre à rayer son numéro de téléphone de mon répertoire. Je sais bien que Jack Ralite est mort le 12 novembre 2017 à Aubervilliers, mais j’entends toujours sa voix, ses appels du matin (couché tard, il se lève tôt) », témoigne Jean-Pierre Léonardini dans la préface du livre collectif, Jack Ralite, nous l’avons tant aimé, que lui consacre les éditions du Clos Jouve. La publication de trois textes de Jack Ralite, suivis d’écrits inédits (Catherine Robert, Etienne Pinte, Yves Clot, Laurent Fleury, Bernard Faivre d’Arcier, Julie Brochen, Jean-Claude Berutti, Michel Bataillon, Olivier Neveux…). Yonnel Liégeois

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Thomas Reverdy, justice pour les profs

Dans son numéro 364 (Décembre 23/Janvier 24), le magazine Sciences Humaines consacre un passionnant dossier à La société française vue par les écrivains. Avec Clara Arnaud, Annie Ernaux, Laurent Gaudé, Maylis de Kerangal, Alain Mabanckou, Mathieu Larnaudie, Lola Lafon, Camille Leboulanger… Recueillis par Ève Charrin, les propos du romancier Thomas Reverdy.

J’essaie d’écrire au plus près du réel. J’observe les gens, et pour inventer leur subjectivité, je puise dans ma propre expérience. Candice, une des protagonistes, est prof de français comme moi – mais elle a sur moi l’avantage d’enseigner le théâtre, elle fait jouer les élèves, ce qui crée une relation un peu différente. Paul, venu animer un atelier, est écrivain comme moi. Parmi mes collègues, certains ont lu le livre dès sa parution, d’autres l’ont découvert plus tard. Ils m’ont dit s’y reconnaître, ce qui me touche. De fait, je m’inspire d’eux, de leurs récits. Le livre, disent-ils, rend justice à leur travail. Je raconte le déferlement d’émeutiers dans la cité scolaire, ce qui est une fiction, mais ce roman est une concaténation de faits et de personnes réelles.

C’est troublant car j’ai terminé le manuscrit au printemps 2023, et quelques mois après, en juin, à la mort de Nahel, des émeutes ont éclaté dans les banlieues populaires. J’ai trouvé ça triste. Certains gamins ont reçu des balles de défense dans l’œil. D’autres ont été incarcérés alors qu’ils n’avaient pas pris part aux émeutes. Comme romancier, j’invente une catastrophe pour prévenir, au double sens du terme : pour alerter et empêcher à la fois. Et voilà qu’avant même la parution du livre, la catastrophe se produit, pire qu’imaginée ! Lors des émeutes de 2005, sous Nicolas Sarkozy, des conventions d’éducation prioritaires ont été mises en place pour permettre à des jeunes des quartiers populaires d’entrer à Sciences po-Paris. Cette fois, la seule réponse a été policière. J’y vois un signe de faiblesse et une marque d’abandon des banlieues populaires.

De la même façon, les établissements scolaires de ces territoires sont négligés par les pouvoirs publics. Au lycée, à Bondy, les profs et les agents de l’administration (conseillers principaux d’éducation, proviseurs) se sentent méprisés. Pourtant, comme les travailleurs de deuxième ligne pendant la pandémie de covid, ce sont eux qui font tenir l’édifice. Pour enseigner, il faut être généreux et croire à la mission émancipatrice de l’Éducation nationale. Pour être ministre, il y a d’autres motivations, mais face à une classe de 35 élèves en Rep (réseau d’éducation prioritaire), si on n’y croit pas, on craque. C’est à nous, romanciers, de montrer cette réalité. Thomas Reverdy, propos recueillis par Ève Charrin

Le grand secours

Lauréat du prix Interallié en 2018 pour L’hiver du mécontentement (J’ai lu, 224 p., 7€50), Thomas Reverdy publie en 2023 Le grand secours (Flammarion, 320 p., 21€50). Le roman raconte la naissance d’une émeute à Bondy (Seine-Saint-Denis), à proximité d’une cité scolaire que la violence ambiante finit par submerger. Alors que les tensions s’accumulent tout autour, l’auteur retrace heure par heure le quotidien des enseignants et des élèves.

« Il est 7 h 30, sur le pont de Bondy, au-dessus du canal. C’est un de ces lundis de janvier où l’on s’attend à ce qu’il neige, même si ce n’est plus arrivé depuis très longtemps. Sous l’autoroute A3 qui enjambe le paysage, un carrefour monstrueux, tentaculaire, sera bientôt le théâtre d’une altercation dont les conséquences vont enfler comme un orage, jusqu’à devenir une émeute capable de tout renverser. Nous la voyons grossir depuis le lycée voisin où nous suivons, au fil des cours et des récréations, la vie et le destin de Mo et de Sara, de leurs amis, mais aussi de Candice, la prof de théâtre, de ses collègues et de Paul, l’écrivain qu’elle a fait venir pour un atelier d’écriture ». 

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Montreuil, la jeunesse à la page

Jusqu’au 04/12, se tient à Montreuil (93) la 39ème édition du Salon du livre et de la presse jeunesse. Avec 280 auteurs et dessinateurs invités, 400 exposants pour illustrer La tectonique des corps, la thématique de l’événement.. Rencontres et débats, lectures dansées ou théâtralisées, expositions et ateliers, radio et télé dédiées : un temps fort incontournable, hexagonal et international !

Seuls pour les plus grands, accompagnés par leurs parents ou en groupes avec leurs enseignants, ils sont nombreux déjà en ce jour d’ouverture à faire la queue devant l’entrée du Centre d’expos de Montreuil ! Un rituel pour certains, une première pour d’autres… En ce 29 novembre, le Salon du livre et de la presse jeunesse a frappé les trois coups de sa 39ème édition. Pour illustrer le cru 2023, une affiche intrigante signée de l’illustratrice Albertine : pas vraiment une panthère, une grenouille rose peut-être ? Un allien atteint de moult coups de soleil ? Que nenni, foi de Sylvie Vassallo, la directrice de ce rendez-vous prisé des collégiens et bambins, un original « chewing gum », dans le parler de Molière une gomme à mâcher couleur fraise ou framboise, les yeux pétillants de malice… Le doute n’est point de mise, l’imagination a pris le pouvoir avant même de franchir les portes du Salon !

Outre une grande exposition pour illustrer la thématique de l’événement, quatre espaces dédiés à quatre artistes fabriquant images et dessins (la suissesse Albertine, le franco-canadien Gérard Dubois, la norvégienne Mari Kanstad Johnsen, la française Roxane Lumeret), la tectonique des corps s’affiche donc comme le fil rouge de l’événement. « Les corps des enfants et des adolescent∙e∙s sont aujourd’hui au centre de sujets de société́ », commente Sylvie Vassallo, « les interminables débats sur la bonne longueur des jupes en sont un exemple, comme les polémiques sur le genre, le rejet des corps non normés, les affaires de harcèlement ».  Et de poursuivre, « nous voulons regarder de quelle manière la littérature jeunesse traite de ces changements, les accompagne, permet de prendre de la distance aussi, et comment elle peut aider les jeunes à vivre dans cette société́ ». Pour l’occasion, 280 auteurs, hommes et femmes, ont répondu présents au rendez-vous et pas moins de 400 maisons d’édition, petites ou grandes !

Incontournable désormais dans le paysage festivalier, le Salon de Montreuil, contrairement aux affirmations encore avancées de-ci de-là, n’est pourtant pas le premier du genre en territoire hexagonal. C’est en province que l’idée germa, à Rouen plus précisément : à l’initiative de feu la librairie La Renaissance et, plus étonnant, de la CGT locale ! En 1983, dans les locaux de l’organisation syndicale, sise rue du Renard (l’emblématique animal devenant la mascotte de l’événement), se déroule le premier Festival du livre de jeunesse en France : 240 visiteurs pour 15 éditeurs sur 250 m² ! Quarante et un ans plus tard, du 10 au 12 novembre, sous la prestigieuse Halle aux toiles rouennaise, classée monument historique et avec l’auteur-illustrateur Barroux en invité d’honneur, il a rassemblé plus de 10 000 visiteurs en culotte courte !

Montreuil met aussi les dessinateurs à l’affiche de son Salon. Avec le dévoilement en avant-première des illustrations des futures stations du super-métro qui encerclera Paris en 2025, avec une lecture dessinée au théâtre Berthelot autour du travail de Régis Lejonc, avec l’exposition au Centre d’art Tignous : sommité dans la catégorie livres pour la jeunesse, Antonin Louchard expose 250 tableaux, petits ou grands, sous le label Enfantillages ! Plaisir de la découverte et de la rencontre, plaisir à lire et comprendre la société qui nous entoure, les allées du Centre d’expos ne manqueront pas de bruisser à nouveau de mille saveurs et clameurs à tourner les pages du grand livre du monde. Yonnel Liégeois

Le 39ème Salon du livre et de la presse jeunesse : jusqu’au 04/12, de 9h à 18h les mercredi-jeudi-lundi, jusqu’à 21h le vendredi, 20h le samedi, 19h le dimanche. Espace Paris Montreuil Expo, 128 rue de Paris, 93100 Montreuil. Enfants, parents, gratuits ou payants, billet d’entrée obligatoire : gratuit les mercredi-jeudi-vendredi pour tous, payant les samedi-dimanche-lundi (sur le web exclusivement, le billet à 5€ comprend un chèque lire de 4€).

Grande ourse et Pépites d’or

Lors de cette 39ème édition, le Salon a décerné sa Grande ourse 2023 à Béatrice Alemagna. Créée en 2019, cette distinction vient éclairer l’œuvre d’une créatrice ou d’un créateur francophone dont l’écriture, le geste, la créativité, d’une ampleur ou d’une audace singulière, marque durablement la littérature jeunesse.

La Pépite d’or est décernée à Nous traverserons des orages, d’Anne-Laure Bondoux. Elle est attribuée par un jury de critiques littéraires et sacre le meilleur titre de l’année parmi les 20 en compétition.

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Les tréteaux d’Olivier Letellier

Du 11/07 au 24/08, les Tréteaux de France posent chapiteau et ateliers de lecture en Île de France. Directeur du seul Centre dramatique national itinérant, Olivier Letellier ne manque pas de projets poétiques et musclés. La mission de l’incorrigible passeur ? Porter le théâtre là où il n’est pas.

Des rafales de vent gonflent le chapiteau. Les cordes qui le maintiennent au sol claquent comme les haubans dans un port par gros temps et une averse de grêlons tambourine sur la toile. En dépit des éléments aujourd’hui déchaînés, Olivier Letellier ne perd pas sa bonne humeur. Montrant un furtif rayon de soleil, il lance, tout sourire : « Voilà le beau temps qui revient ! » Et il accueille des gamins venus participer avec leur professeure de CM2 à une des séances de Killt, autrement dit « ki lira le texte », un dispositif hybride entre théâtre et lecture participative. Le comédien Nicolas Hardy s’empare alors, avec les jeunes, de la Mare aux sorcières, une belle fable écologique et fortement humaine, écrite par Simon Grangeat.

Des textes pour « outiller » les jeunes et leur donner à penser

Directeur des Tréteaux de France, unique Centre dramatique national itinérant, Olivier Letellier présente avec ce Killt l’esprit essentiel de son projet, à savoir passer commande de textes à des auteurs comme Catherine Verlaguet, Antonio Carmona, ou encore Marjorie Fabre, pour n’en citer que quelques-uns, puis les confronter au public. Avec Robin Renucci, désormais à la tête de La Criée, à Marseille, les Tréteaux de France avaient mis en lumière les grands classiques. Son successeur mise sur les « écritures contemporaines,nous voulons faire des Tréteaux un CDN ancré dans le présent pour aider à construire les citoyens de demain ». Il défend ainsi un théâtre pour tous, « de 0 à 110 ans, car on ne voit jamais les petits venir seuls au théâtre. Les textes pour la jeunesse ou les adultes sont pour nous identiques, mais avec une particularité quand même : pour les enfants, il y a toujours de la lumière au bout de l’histoire ».

Né en 1972 dans la région parisienne, soit bien après la création de ce CDN original par Jean Danet en 1959, Olivier Letellier a toujours eu le théâtre et sa transmission dans son ADN. À tel point qu’il lui est arrivé de sécher des cours au lycée pour animer des ateliers théâtre dans une école primaire. Avec de la suite dans les idées, il explique que, désormais, « consacrer les Tréteaux de France à la création pour l’enfance et la jeunesse est un choix politique ». Et de préciser avec conviction : « Les jeunes, on ne va pas les protéger et les mettre sous cloche. Leur parler de la société et des grandes questions en débat comme l’environnement, le genre, les sexualités, les familles recomposées, les migrations, etc., ça ne fait que les outiller, leur donner des moyens de penser pour les rendre plus forts ».

350 représentations, avec une dizaine de spectacles différents

À la question « il n’y a pas de Molière dans votre programmation ? », après l’année du 400 e anniversaire et alors que de tout temps des classes entières sont invitées à découvrir en « séance scolaire » le Bourgeois Gentilhomme ou le Malade imaginaire, Letellier, toujours souriant, répond : « Eh bien non, je le laisse à tous ceux qui le veulent. Je suis convaincu que l’on a aujourd’hui d’autres choses à raconter ». Cette saison, se réjouit-il, les Tréteaux proposent 350 représentations, avec une dizaine de spectacles différents. Cet été, ils sont présents notamment sur les bases de loisirs d’Île-de-France, les séances sont gratuites et ouvertes à tous. Jusqu’au 14/07, Killt est aussi présent à la Maison Jean-Vilar, dans le cadre du Festival d’Avignon, avec les Règles du jeu de Yann Verburgh . Avant les Tréteaux, Olivier Letellier animait la Compagnie du phare, désormais en sommeil, et dont le répertoire a été repris par le CDN, qui emploie donc les ex-salariés et intermittents de la compagnie. Le groupe s’est étoffé avec plus de personnels administratifs, plus de techniciens, plus de comédiens…

Et les projets ne manquent pas, poétiques et musclés. « Pour des salles de spectacle comme pour des lieux non équipés, c’est cela aussi notre mission, porter le théâtre là où il est absent ». Il imagine ainsi de jouer « dans des mairies, des écoles et autres lieux publics. Un auteur pourrait écrire une fiction sur des débats au conseil municipal d’une commune, par exemple, en y interrogeant le mythe de l’opposante Antigone ». Olivier Letellier, toujours pour porter du théâtre ailleurs, pense aussi à des scènes dans des commerces. « Imaginez que dans la boucherie du quartier ou du village, on vous raconte l’histoire de Barbe bleue. Est-ce que, le lendemain, vous ne porterez pas un regard différent sur le boucher et sur son billot ? ». Propos recueillis par Gérald Rossi

Les Tréteaux de France : le CDN sera présent du 11 au 16/07 sur l’île de loisirs du Port aux cerises de Draveil (91), du 22 au 27/07 sur celle de Créteil (94), du 8 au 13/08 sur celle de Cergy-Pontoise (95), du 19 au 24/08 sur celle de Saint-Quentin en Yvelines (78). Entre ateliers et lectures, il présentera notamment Killt-La mare à sorcières, une expérience en immersion dans un texte de théâtre, Échappées belles : issue de secours, un spectacle déambulatoire en plein air et La mécanique du hasard, jouée sous chapiteau.

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Montreuil-sur-Scène, un nouveau label !

Donner de l’écho à un édito de saison ? Un acte quelque peu incongru que nous assumons et dont nous nous réjouissons. Lorsqu’un texte, amoureusement sérieux sans jouer au prétentieux, nous pique les yeux, nous ne pouvons résister… Au cours de nos pérégrinations théâtrales, nous en avons pourtant lu des éditos de saison, rarement plaisants et souvent bien pédants !

Entre le cinéma Méliès et le Théâtre Public de Montreuil (93), d’un pas conquérant nous arpentions la place Jean-Jaurès alors que des ouvriers montaient leur échafaudage pour apposer trois majuscules lettres noires sur la façade du théâtre. Un nouveau label, banal pour les uns, mais qui veut dire beaucoup pour d’autres à l’heure où les services dits publics sont bradés à l’appétit des financiers… Énoncé par Pauline Bayle, la nouvelle directrice, un libellé alphabétique d’une incroyable puissance « poïétique » selon le qualificatif choyé par le regretté Édouard Glissant, offert ainsi à la vue des passants !

Que de chemin parcouru depuis l’époque du TJS, le Théâtre des Jeunes Spectateurs-CDN Jeune Public dans les années 90, avant que cette filière si créative et prometteuse ne soit réduite à la portion congrue par le ministère de la Culture… En ce troisième millénaire, riche de projets solidaires, Montreuil demeure une cité colorée au fort potentiel culturel avec son cinéma public, sa Maison Populaire, ses multiples ateliers d’art, ses diverses scènes dédiées à la musique ou au spectacle vivant. Chantiers de culture ne peut qu’applaudir aux perspectives gourmandes qui s’affichent et se profilent à l’horizon. Yonnel Liégeois

TPM

T comme Théâtre, cela va de soi
M comme Montreuil, ville dont nous sommes fièr·e·s et
P comme

Public parce que ce théâtre appartient à tou·te·s
Poétique parce que la poésie changera le monde
Palpitant parce que au théâtre, « le diable c’est l’ennui » (Peter Brook)
Paritaire parce qu’en 2022, c’est le minimum
Pailleté parce que les paillettes c’est la fête
Politique parce que tout, oui, tout est politique
Profond parce qu’en matière de création, il est toujours nécessaire de creuser
Permanent parce que nous voulons faire du théâtre partout, tout le temps
Pluriel parce qu’il y a une multitude de théâtres
Paranormal parce que nous voulons vous emmener dans de nouvelles dimensions
Puissant parce que avec peu de moyens on peut dire de grandes choses
Piquant parce que nous aimons ne pas être brossé·e·s dans le sens du poil
Populaire parce que nous nous adressons à tou·te·s
Poignant parce que, lorsque l’art émeut, il emporte tout
Pacifique parce que nous souhaitons défendre un théâtre qui rassemble
Passionné parce que dans la création d’un spectacle il y a mille histoires d’amour

Alors nous y voilà.

Avant de faire du théâtre le métier de mes rêves, je fus une spectatrice invétérée. Aujourd’hui encore, chaque fois que le noir se fait, je ressens le même frisson d’excitation à l’idée que ma vie soit sur le point d’être bouleversée. J’attends toujours d’un spectacle qu’il ouvre une brèche, et c’est avec cet horizon plein de promesses que j’aborde toute expérience de théâtre.

C’est donc d’abord en tant que spectatrice que je souhaite vous accueillir au TPM et partager avec vous ce lieu pensé comme une maison qui abrite les vastes étendues de nos imaginaires. Une maison où l’hospitalité règne en reine et qui accueille des spectacles, évidemment, mais également un bar, un restaurant, une librairie éphémère, des expositions, des débats ou des ateliers. Cette saison inaugurale est une rencontre. Une rencontre entre des artistes plus vivant·e·s que jamais, et vous, habitué·e·s du lieu ou futur·e·s spectateur·rice·s. 

Et je me réjouis, car nous n’en sommes encore qu’aux prémices. 

Le meilleur reste à venir.

Pauline Bayle, directrice

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Trovel, en quête d’humanité

Jusqu’au 17 décembre, le théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis (93) accueille En quête d’humanité. Une exposition des photographies de Pierre Trovel, reporter au quotidien L’Humanité durant 35 ans. Une formidable plongée dans l’espace et le temps.

L’exposition des photographies du reporter-photographe Pierre Trovel, En quête d’humanité, est un échantillon du formidable fonds photographique que ce dernier a déposé en 2015 aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis. Soit 382 000 clichés, pris entre 1960 et 2014. Après avoir été présentée en janvier 2020 dans les locaux des Archives, l’exposition se tient au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis en écho aux représentations de la pièce, Huit heures ne font pas un jour alors à l’affiche, tirée du feuilleton réalisé en 1972 par Rainer Werner Fassbinder.

Alors que le réalisateur dépeignait la classe ouvrière allemande, le photographe couvrait pour le journal l’Humanité les nombreuses grèves accompagnant la désindustrialisation en France. Une effroyable saignée quand on sait que rien qu’en Seine-Saint-Denis, entre 1976 et 1984, 38 000 emplois furent supprimés. Mécano, Cazeneuve, Talbot, Alsthom… à travers une soixantaine de photographies noir et blanc, on retrouve ainsi les ouvriers de Renault-Billancourt, le portrait d’un mineur marocain de Courrières, les ouvrières de l’usine Pilotaz de Chambéry, l’imprimerie Chaix d’Issy-les-Moulineaux détruite ou encore les sidérurgistes occupant le toit de l’Opéra Garnier.

Des clichés-témoignages

Images fortes, souvent terribles quand on sait que les combats âpres furent rarement glorieux, elles témoignent des années de transformation économique où des milliers de salariés se sont retrouvés sur le carreau. Ces  clichés peuvent être étonnants comme celui des ouvrières occupant l’usine Bertrand-Faure fumant leurs clopes allongées sur les rouleaux de tissus, parfois drôles telles celle nous montrant une manif de l’Union des vieux de France s’abritant sous un store siglé « Pieds sensibles médical »… Après avoir été photographe à la mairie de Saint-Denis de 1967 à 1975, Pierre Trovel intègre la rédaction du quotidien l’Humanité jusqu’à sa retraite en 2010. Autant dire qu’il en a mis en boîte des conflits, jusqu’à ceux de Longwy ! Là, une photographie d’une arrière-cour avec les hauts-fourneaux en toile de fond, ici, un slogan sur une palissade « Par la lutte, Longwy vivra ».

Au-delà des luttes, le reporter photographie aussi la banlieue en mutation : des minots près d’un toboggan faisant face à la cité des « 4000 » de la Courneuve, la silhouette d’un jeune se détachant d’une vue des tours de Fontenay-sous-Bois, l’immense chantier du RER de Marne-la-Vallée ou encore la liesse des gamins de Saint-Denis lors de la victoire des footballeurs français en 2000… On suit aussi le quotidien d’une époque : des enfants entassés dans un 9m2 rue du Paradis (quelle ironie !) à Paris, un groupe de jeunes hommes dans un café en Moselle ou un couple souriant et dansant dans un café du côté de la gare du Nord…

Une formidable plongée dans le temps et dans l’espace, à ne pas manquer. Amélie Meffre

Une partie des photographies numérisées de Pierre Trovel sont consultables sur le site des Archives départementales de la Seine-Saint-Denis. En quête d’humanité, exposition des photographies de Pierre Trovel, jusqu’au 17/12 au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, 59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis.

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ATD, la voix des pauvres

Depuis 1979, l’association ATD-Quart Monde porte la voix des pauvres et des exclus au sein du Conseil économique, social et environnemental. Un siège supprimé en vertu de la réforme du CESE… Une décision dénoncée par moult personnalités, associatives-syndicales-politiques, qui appellent à soutenir une pétition nationale.

Deux. C’est le nombre de sièges dévolus aux représentants de la lutte contre la pauvreté sur les 175 que comptera le nouveau Conseil économique, social et environnemental (CESE). Deux sièges pour les 15 % de la population qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Si la réforme du CESE a fait peu de bruit, la loi organique du 15 janvier 2021 a pourtant changé son rôle et sa composition, passant notamment de 233 membres à 175. Les sièges destinés aux associations luttant contre la pauvreté ont ainsi été réduits de trois à deux – l’un pour la Croix Rouge, l’autre pour le collectif Alerte, tandis que le siège jusqu’ici tenu par ATD Quart Monde a été supprimé.

Troisième assemblée de la République, le CESE a pourtant vocation à représenter la société dans son ensemble. ATD Quart Monde y porte la parole des plus exclus depuis 1979 et y apporte une expertise unique et irremplaçable, construite à partir de la pensée, du savoir et de l’expérience des personnes les plus pauvres. Les travaux portés par ses représentants successifs ont inspiré et initié d’importantes avancées législatives, parmi lesquelles la création du RMI (ancêtre du RSA), de la Couverture maladie universelle (CMU) ou encore du Droit au logement opposable (DALO).

Fidèle à ce qui fonde ATD Quart Monde, ses avis et rapports y ont été réfléchis et construits avec des personnes en situation de pauvreté : plus qu’une représentation, c’est une réelle participation des plus pauvres qu’ATD Quart Monde apporte au sein du CESE. Aujourd’hui, alors que la pauvreté s’accroît en France, il est plus que jamais nécessaire de continuer à faire entendre cette voix.

Les dix millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté – dont plus de deux millions dans l’extrême pauvreté –, les quatre millions de personnes mal-logées, les trois millions de chômeurs de longue durée, les trois millions d’enfants de familles vivant sous le seuil de pauvreté, doivent pouvoir porter leur parole jusque dans les plus hautes instances de la République. Cela commence évidemment au CESE, un lieu où se côtoient des mondes différents et qui porte le dialogue dans son ADN. Dialogue indispensable dans une société de plus en plus fracturée et qui ne saurait faire l’impasse sur 15% de la population. Sinon, comment prétendre vouloir faire du CESE « un carrefour des consultations citoyennes », selon les propres mots du président de la République ?

Oui, le CESE peut devenir l’avant-garde de la démocratie participative. Mais pour cela, il se doit d’être représentatif de l’ensemble de la société, sans oublier celles et ceux qui sont déjà bien trop souvent oubliés. Celles et ceux qui se battent au quotidien pour survivre ont beaucoup à apporter, au CESE comme ailleurs, pour construire les réponses à la pauvreté et contribuer à l’ensemble des politiques publiques. Le prochain mandat du CESE commençant début mai, il reste peu de temps au gouvernement pour revenir sur son choix.

En signant ce texte, nous l’appelons à réintégrer sans attendre ATD Quart Monde au sein du CESE, aux côtés de la Croix-Rouge et du Collectif Alerte, et donner ainsi à la troisième chambre de la République les moyens de rester fidèle à sa devise : « Considérer les progrès de la société à l’aune de la qualité de vie du plus démuni et du plus exclu, est la dignité d’une nation fondée sur les Droits de l’Homme ».

Parmi les premiers signataires : Manon Aubry, députée européenne (LFI)… Annick Berthier, présidente d’Emmaüs France… Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité… Mireille Delmas-Marty, juriste et professeur honoraire au Collège de France… Christophe Devys, président du Collectif ALERTE… Véronique Fayet, présidente du Secours catholique… Olivier Faure, député (PS) et premier secrétaire du Parti socialisteCaroline Janvier, députée (LREM)… Fiona Lazaar, députée (NI) et présidente du Conseil National des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE)… Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT… Edgar Morin, sociologue et philosophe… Valérie Pécresse, présidente du Conseil régional d’Île-de-France (LR)… Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre… Fabien Roussel, député (PCF) et secrétaire national du PCF…

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La Commune de Paris, 150 ans

72 jours… Entre mars et mai 1871, le peuple de Paris se soulève pour la Commune. Une expérience inédite de République sociale et démocratique, écrasée dans le sang sur ordre de Thiers. Un siècle et demi plus tard, que reste-t-il en héritage ? Retour sur un événement fondateur pour le mouvement social. Yonnel Liégeois

Jusqu’au 28 mai et l’épisode de la « Semaine sanglante » au cimetière du Père-Lachaise, Chantiers de culture publie une série d’articles pour commémorer le 150ème anniversaire de la Commune de Paris.

« Place au peuple, place à la Commune ! » Voici cent cinquante ans, le 18 mars 1871, après plusieurs mois d’un siège épuisant et voulant empêcher qu’après la défaite face aux Prussiens les troupes du gouvernement lui prennent ses canons, le peuple de Paris se soulève et inaugure une expérience inédite de République sociale et universelle. En à peine plus de deux mois, la Commune de Paris initie un pouvoir du peuple par et pour le peuple, se faisant laboratoire de démocratie, de révolution sociale et culturelle sans précédent avant qu’Adolphe Thiers la massacre durant une semaine sanglante, du 21 au 28 mai. Héritière d’un siècle d’histoire – les uns se revendiquant des sans-culottes, d’autres ou les mêmes d’un mouvement ouvrier en construction tandis que la révolution industrielle transformait le pays en profondeur –, la Commune de Paris réalise en peu de temps une œuvre sociale considérable, à laquelle les femmes et les étrangers faits citoyens prennent toute leur part.

Ce « moment de rupture inattendu dans le cours de la vie sociale », cet « événement tumultueux et dense » pour reprendre les mots de l’historien Roger Martelli, aura à la fois soulevé les espoirs du mouvement ouvrier naissant et suscité la peur du pouvoir républicain mais déjà libéral de Thiers et de ses affidés. La terreur de masse qu’il a déployée pour y mettre un terme en témoigne. Un siècle et demi plus tard, la Commune demeure une référence aux héritages aussi divers que les courants qui s’y sont manifestés. Elle reste de même méprisée ou détestée par les descendants de Thiers pour lesquels il « n’existe pas d’alternative » à l’ordre qu’ils veulent continuer d’imposer. « Son récit tient de l’épopée, sa mémoire touche au mythe, mais sa lecture ne relève pas du mystère. On sait désormais beaucoup de choses sur ces quelques semaines si intenses », rappelle Roger Martelli.

Proclamation de la Commune : la mobilisation populaire

La naissance de la Commune relève d’un concours de circonstances, d’un mouvement populaire spontané et inattendu. En juillet 1870, Louis Napoléon Bonaparte déclare la guerre à la coalition prussienne dirigée par Bismarck. Le 2 septembre, l’empereur capitule à Sedan. Le 17, la ville de Paris est assiégée par les troupes ennemies. La population parisienne se veut « patriotique » et entend défendre la capitale. Une souscription populaire permet l’achat de canons pour la Garde nationale. Le gouvernement signe l’armistice général le 18 février 1871. L’empire allemand annexera l’essentiel de l’Alsace et de la Lorraine et réclamera à la France cinq milliards de francs d’indemnités. Le 8 février, les élections législatives avaient donné à l’Assemblée une majorité monarchiste. Très vite, des mesures antidémocratiques et antisociales se multiplient, comme la fermeture autoritaire de plusieurs journaux, dont Le Cri du peuple de Jules Vallès, la suppression de la solde journalière due aux Gardes nationaux …

Le 10 mars 1871, l’Assemblée migre à Versailles. Le 17, Thiers ordonne à la troupe de retirer aux Parisiens leurs canons entreposés à Montmartre et Belleville. Le 18 mars à l’aube, les femmes – notamment les blanchisseuses commençant tôt leur journée de travail – découvrent la manœuvre et lancent l’alerte. Alors qu’après sommation le général Lecomte ordonne de faire feu, les soldats crosses en l’air fraternisent à Montmartre avec la foule. Dans la journée, Paris se couvre de barricades tandis que Thiers fait arrêter Auguste Blanqui. Lecomte et un autre général, Clément-Thomas, qui avait participé à la répression du soulèvement de 1848, sont tués par la foule contre l’avis du comité de vigilance de Montmartre. La Garde nationale assure le pouvoir jusqu’aux élections du 26 mars que les « communeux » (ce sont Thiers et les siens qui les surnommeront ensuite péjorativement « communards ») remportent aisément. Le 28 mars 1871, la Commune de Paris est proclamée.

XIXe  siècle : le mouvement ouvrier s’organise

Au-delà de cette chronologie des événements, la Commune s’inscrit dans l’histoire politique, économique, sociale et culturelle du XIXème siècle. La France, encore profondément rurale, connaît la révolution industrielle. C’est l’essor du charbon et du fer, le développement de la métallurgie et du chemin de fer, celui des banques, aussi, et de la spéculation. Le monde ouvrier est confronté aux longues journées et aux dures conditions de travail avec des salaires ne permettant guère de sortir de la misère, notamment les femmes qui perçoivent en général deux fois moins que les hommes. Dès 1791, la loi Le Chapelier avait interdit les « coalitions » à l’origine des grèves. À partir de 1864, Napoléon III finit par devoir les autoriser dans un contexte où les grèves se multiplient, des typographes aux ouvriers tanneurs, des mégisseurs aux mineurs, des bronziers aux tailleurs… Le mouvement ouvrier commence à se structurer aux plans international et national.

L’Association internationale des travailleurs naît à Londres en 1864. En 1865, en lien avec l’AIT, Eugène Varlin et Nathalie Lemel – qui deviendront tous deux des figures de la Commune (il sera fusillé avant ses 32 ans, elle sera déportée) – fondent la Caisse fédérative de prévoyance. Puis, en 1869, la Fédération des chambres ouvrières de Paris, lesquelles comptent quelque 40000 adhérents (sur environ 600000 ouvriers). La section française de l’AIT, d’abord autorisée, et où sont recensés près de 100000 membres en 1870, sera rapidement dissoute par le pouvoir… Paris, pour sa part, est une ville profondément remaniée par les grands travaux du baron Haussmann. Comptant quelque deux millions d’habitants sur 37 millions dans le pays, elle concentre les classes les plus riches vers l’Ouest et vers l’Est le prolétariat, les ouvriers, petits commerçants et artisans. Ceux qui feront la Commune.

Semaine sanglante : la haine de classe meurtrière

Malgré la menace militaire toujours à ses portes, la Commune de Paris tente de faire vivre la démocratie et prend dans de nombreux domaines une série de mesures contre l’ordre ancien et favorables aux classes populaires. D’autres villes s’insurgent, instaurant parfois des communes éphémères : Marseille, Lyon, Toulouse, Narbonne, Saint-Étienne, Le Creusot, Limoges. La Commune de Paris adressera plusieurs déclarations au peuple français, aux départements, aux travailleurs des campagnes. Lesquelles sont encore pour beaucoup influencées par les notables et le clergé contre une Commune laïque et anticléricale. Contre ce qu’il considère comme une menace pour l’ordre bourgeois, Adolphe Thiers ordonne la répression. Né à Marseille en 1797, orléaniste, il se veut partisan d’une monarchie constitutionnelle avant de se rallier par intérêt à la République. En 1834, c’est lui déjà qui avait réprimé dans le sang la seconde révolte des canuts de Lyon.

En décidant d’écraser la Commune et de massacrer les communeux, il défend un ordre de classe contre la République sociale, en tentant à la fois de faire peur et d’éliminer durablement les penseurs et les organisateurs d’un mouvement ouvrier naissant. Les Versaillais mêlent déjà la propagande à leur geste, qualifiant les communeux de criminels fainéants et alcooliques, de lie de la société. S’alliant les troupes de Bismarck face à des combattants de la Garde nationale héroïques mais mal organisés et à des citoyens sans moyens sur les barricades, les versaillais entrés dans Paris le 21 mai fusillent femmes, hommes, enfants. Les exécutions sommaires se multiplient, comme celles décidées par les cours martiales. On dénombre plusieurs dizaines de milliers de morts, tandis que les militants fusilleront à leur tour quelques dizaines d’otages parmi lesquels l’archevêque Georges Darboy. « La mode est aux conseils de guerre, et les pavés sont tout sanglants», dit Jean-Baptiste Clément. La Semaine sanglante dure jusqu’à l’éradication des dernières barricades et aux fusillades du 28 mai au mur du Père-Lachaise, qui deviendra « le mur des fédérés ». Des dizaines de milliers d’arrestations, des jugements à la chaîne, la prison ou bien la déportation en Nouvelle-Calédonie : la répression se poursuivra durant plusieurs années, jusqu’à l’amnistie générale décrétée le 10 juillet 1880.

« À quand enfin la République de la justice et du travail ? », chante alors Jean-Baptiste Clément. Qui met en garde : « Les mauvais jours finiront.et gare à la revanche, quand tous les pauvres s’y mettront » ! Isabelle Avran

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Au temps des coupeurs de poils…

Coupeur de poils, garde champêtre, garde messier, cantinière… Autant de professions ou de fonctions qui ont évolué, se sont raréfiées ou ont disparu des registres de Montreuil (93), et de toute ville. Sont convoqués au titre des causes : le progrès technologique et technique, la baisse de l’activité agricole, l’urbanisation et l’évolution de la fiscalité. Revue de détails

Le premier, le coupeur de poils, a été victime de la mécanisation conjuguée à la disparition de l’industrie de la peausserie, dont les établissements Chapal à Montreuil (93). Les autres ont succombé à l’urbanisation ou à la mise en concession de certaines activités. Les ancêtres des policiers municipaux d’aujourd’hui étaient quatre gardes champêtres, nommés par le conseil municipal et assermentés, au salaire mirobolant de 1500 francs annuels (soit un peu plus de 500 € actuels par mois) en 1905, revalorisé à un peu plus de 1100€ par mois en 1930. Lesquels gardes champêtres étaient flanqués d’auxiliaires et, un cran au-dessous dans la hiérarchie des agents du maintien de l’ordre, d’une quarantaine de gardes messiers. Cette fonction, propre à la ruralité, consistait à surveiller les récoltes. En l’occurrence, à Montreuil, celle des pêches.

Nommée chaque année par le conseil municipal, et jusqu’au XIXème siècle armée de piques, cette brigade escortait les porteuses de paniers de fruits jusqu’aux halles de Paris. Disparus, le fossoyeur et son auxiliaire, du fait de la mise en concession de la prestation. Sont aussi tombés en désuétude le brigadier appariteur ou le porteur, de même que le tambour afficheur (un peu moins de 400€ par mois de salaire), remplacé au XXIème siècle par un panneau d’affichage électronique. Les roulements de sa caisse claire avaient à tout le moins le mérite d’attirer l’attention.

De la cantinière à l’agent de restauration scolaire

Le cantonnier, qui avait fait son apparition au XVIIIème siècle, est devenu à la fin du XXème un agent d’exploitation, et la cantinière est dorénavant agent de restauration scolaire. Cette révision sémantique reflète une hausse des exigences. Ces agents formaient à eux seuls un petit régiment de trente-quatre personnes avec sa hiérarchie qui s’étalait de l’agent voyer aux cantonniers des chemins vicinaux, au bas de l’échelle, en passant par les auxiliaires dont un paveur. Disparu également l’octroi, qui rapportait gros à la ville : 363699 francs (1,469 million actuel d’euros) pour la seule année 1904. Et cela, en ne dépensant guère plus de 31000 francs (130000 €) pour rémunérer le personnel. Avec son préposé en chef basé à la mairie, la quinzaine d’agents était répartie sur les onze bureaux placés aux entrées de Montreuil. Sauf à disposer d’un « passe-bout » si la marchandise ne faisait que transiter par la ville, à peu près tout ce qui y entrait était taxé. Une forme d’incitation à la production locale avant l’heure. Il fallait s’acquitter de 1,50 franc (6 €) pour un hectolitre de vin, 2,50 francs (10 €) pour un porc et 8 francs (33 €) pour un bovin. Mais l’essentiel des recettes se réalisait avec le pétrole, le charbon et les matériaux de construction.

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La FSGT, jeux et enjeux

Présidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), Emmanuelle Bonnet-Oulaldj est inquiète des effets du confinement sur le sport associatif. Elle plaide pour une plus grande solidarité entre les mondes professionnel et amateur.

Jean-Philippe Joseph – Quelle est la situation du sport associatif après de nombreux mois de restrictions ?

Emmanuelle Bonnet-Oulaldj – La vitalité de nos associations FSGT a permis de proposer des formes d’activité à distance. Mais la réalité est que le lien social et la pratique encadrée des activités physiques et sportives ont été mis à l’arrêt. Ce qui pose question car, dans le contexte sanitaire que nous traversons, le sport est un facteur d’immunité.

J-P.J. – Quelles furent les répercussions pour les clubs ?

E.B-O. – Certaines salles ont fermé, d’autres, locataires de leurs équipements, n’ont plus de recettes. C’est un peu la double peine, car les clubs sont souvent situés dans les quartiers populaires. Les plus jeunes, par exemple, qui n’avaient pas la possibilité de partir durant les vacances scolaires, ont été pénalisés. Le sentiment d’injustice est aussi fort chez les clubs qui ont beaucoup travaillé sur des protocoles sanitaires, et qui se sont vus accuser par le ministre de la Santé d’être des foyers de contamination. Alors qu’aucune étude ne l’a démontré à ce jour.

J-P.J. – Et les conséquences sur le plan financier ?

E.B-O. – Nous avons perdu 30% de nos adhérents, or les licences constituent l’essentiel de nos recettes. Beaucoup de gens sont dans l’expectative, les retraités, les parents… Le chômage partiel pèse sur le budget des familles, à commencer par les loisirs. Le sport pour les filles en fait les frais. Les clubs ont  dû également se passer de ressources liées aux kermesses ou au sponsoring local. Nous sommes inquiets pour l’avenir. La machine bénévole et associative sera difficile à relancer, même en septembre prochain.

J-P.J. – L’État mise sur un plan de relance de 400 millions d’euros pour le sport…

E.B-O. – Ce plan ne prend en compte que les retombées économiques et marchandes. Les associations étant animées à plus de 95% par des bénévoles, elles ne reçoivent aucun soutien financier. Il est prévu 100 millions pour la création d’un « pass’sport », afin d’aider les familles à prendre une cotisation dans un club. Si ce n’est pas effectif très vite, cela ne servira pas à grand-chose. Nous sommes dans l’urgence, et rien n’a été décidé pour l’urgence.

J-P.J. – La proximité des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, en 2024, peut-elle jouer un rôle de catalyseur ?

E.B-O. – Selon ses organisateurs, les JO étaient la promesse d’une inclusion sportive, sociale, environnementale. La promesse pour la Seine-Saint-Denis (93), qui accueillera le village olympique et plusieurs épreuves, s’évanouit petit à petit pour des raisons budgétaires, alors que le territoire est carencé en équipements sportifs. Il ne peut y avoir de développement durable sans un soutien aux associations. Ce sont elles qui permettent d’apprendre, de progresser, de transformer les pratiques, d’innover. Sans moyens pour garantir ce développement durable, il ne pourra y avoir d’héritage durable des Jeux.

J-P.J. – Qu’attendez-vous de la part des pouvoirs publics ?

E.B-O. – Les richesses dans le sport existent, il faut mieux les répartir, repenser la solidarité. Les associations ont souvent pallié les manquements de l’État et du secteur marchand. La précarisation du marché de l’emploi, la généralisation du travail le dimanche représentent une menace pour le bénévolat, qui ne peut s’organiser que si les gens ont du temps pour s’y consacrer. Il ne peut y avoir de sport pour tous dans une société où il n’y a pas un travail et un logement pour tous, un accès à la santé, à l’éducation, un droit à la retraite à 60 ans. C’est à ce prix que se fait aussi l’émancipation humaine. Propos recueillis par Jean-Philippe Joseph, Photo Daniel Maunoury

Repères

Emmanuelle Bonnet-Oulaldj copréside la FSGT depuis 2017. La fédération est née en 1934 de la fusion de deux associations, l’une proche de la CGTU, l’autre de la CGT. Elle défend la pratique d’un sport populaire de masse et s’engage dans la lutte contre le fascisme. Aujourd’hui, la FSGT regroupe 4500 clubs et 270 000 adhérents. Sur la scène internationale, elle multiplie les coopérations visant à faire du sport un vecteur de paix et de non-violence.

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Avant HLM et périph, la « zone »

Certains les appelaient « zoniers », d’autres, plus péjorativement, les traitaient de « zonards ». Ils étaient très pauvres et habitaient ce qu’on appelait alors, à la fin du XIXème siècle, la « zone ». Une bande de terrains vagues, futurs bidonvilles tout autour de Paris, à proximité des fameuses fortifications voulues par Adolphe Thiers et chantées plus tard par Fréhel.

À l’origine, en 1840, il y a la décision d’Adolphe Thiers, chef du gouvernement et ministre des Affaires étrangères, de doter Paris d’un mur d’enceinte long de 34 kilomètres, large de six mètres, haut de dix mètres. Avec ce qu’il faut pour la défendre : un fossé de quarante mètres, une contrescarpe et surtout un glacis de 250 mètres décrété non aedificandi, c’est-à-dire inconstructible. Le tout pour 140 millions de francs investis dans un projet totalement dépassé à une époque où d’autres villes européennes telles que Barcelone et Vienne envisagent de démanteler leurs fortifications. Entamée en 1841, la construction s’achève en 1844 avec ses dix-sept portes, ses vingt-trois barrières, ses huit passages pour le chemin de fer et surtout ses quatre-vingt-quinze bastions.

La muraille érigée, il n’y a plus qu’à attendre l’ennemi. L’armée de Bismarck se pointe en 1870. Mais alors que l’on imaginait les troupes allemandes monter à l’assaut de Paris, leur stratégie est plus retorse. L’essentiel des batailles se déroule dans la grande banlieue. Autant de batailles perdues par les Français et qui permettent à l’ennemi de s’installer en coupant les routes d’approvisionnement de la capitale. Paris assiégé, Paris affamé se nourrit des animaux du Jardin des Plantes, les éléphants, les chats et les rats passent à la casserole. Paris capitule et, le 1er mars 1871, Thiers autorise une occupation symbolique des Champs-Élysées par l’armée de Bismarck. Pas question d’assaut, les troupes sont entrées par la grande porte.

L’inanité du mur d’enceinte démontrée, la question se pose de son démantèlement qui sera décidé en 1919. L’envahisseur rentré chez lui en s’offrant au passage l’Alsace et la Moselle, Parisiens et banlieusards investissent le fameux glacis de 250 mètres – qui atteignait jusqu’à 1 000 mètres entre Vincennes et Montreuil – pour en faire un lieu de promenade dominicale. Des caboulots, où l’on sert un vin ni pire ni meilleur qu’ailleurs, s’y installent. Mais les militaires, tout penauds qu’ils soient de leur défaite, n’en tiennent pas moins à leur autorité et interdisent toute construction en dur. Les « puces » de Montreuil, qui datent de Louis XIII, y trouvent encore plus de surface pour s’étaler.

La « zone » voit débarquer une autre population dans son versant montreuillois : les manouches. Plus précisément les kalderashs de Bessarabie, spécialisés dans la chaudronnerie et le cuivre, auxquels se sont ajoutés des vanniers. Ils y forment une sorte d’aristocratie avec leurs roulottes ou au pire une tente, démontrant qu’ils n’étaient là que de passage. Une telle friche, aux portes d’un Paris redessiné par Haussmann et devenu inabordable pour le petit peuple, relève de l’aubaine pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir mieux qu’une baraque en planches. Les ancêtres des bidonvilles des années 1950 naissent sur cette ceinture parisienne au tout début du 20ème siècle. Ils seront jusqu’à 40 000 à coloniser ce qui fut ce glacis.

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Olivier Norek, un tonton flingueur !

En disponibilité de la police, Olivier Norek écrit des romans noirs. Où il dénonce la corruption des élites, le sort réservé aux migrants, le malaise des policiers. Des livres qui, espère l’ex-lieutenant, « apportent de la réflexion ».

 

Jean-Philippe Joseph – Il y a sept ans, vous avez mis votre carrière de policier entre parenthèses pour écrire des romans noirs. Vos personnages, de flics notamment, apparaissent toujours très humains…

Olivier Norek – Je ne pense pas que l’on puisse exercer le métier de flic en se départant d’une certaine humanité. Notre quotidien est fait de ce que l’homme recèle de pire en lui. Si tu es un bloc de granit, il n’y a pas d’échange, tu ne comprends ni les victimes ni les criminels. Si je suis devenu flic, c’est pour aider l’autre, réparer des injustices, faire de la prévention.

J-P.J. – Pourquoi avoir quitté la police ?

O.N. – Je suis parti parce qu’on me proposait une nouvelle vie. J’ai passé dix-sept ans dans la violence, l’ultra-violence, le côté sombre des choses. Aujourd’hui, on me propose un peu plus de lumière, des choses un peu plus simples, un peu plus agréables. J’aurais adoré enseigner, mais un enseignant doit être beaucoup plus solide qu’un flic. Il doit faire régner l’ordre dans sa classe pour parvenir à transmettre, sauf qu’il se retrouve seul face à trente gamins. Sans renfort en cas de problème.

J-P.J. – La vie d’auteur doit vous changer…

O.N. – Pas tant que ça ! J’ai autant d’adrénaline, d’émotions. La seule différence ? Je ne me fais pas insulter, je ne me bagarre plus toutes les semaines, et ça me va bien. Quand t’es flic, tu ne vois pas les couches de stress, de violence, de haine qui s’ajoutent les unes aux autres. Ce n’est pas un métier de se battre et de se faire cracher dessus tous les jours. Ce n’est pas un métier de travailler entre dix et quatorze heures par jour, payées huit…

J-P.J. – Est-ce que ça justifie les violences commises par des policiers ?

O.N. – Bien sûr que non. Ça fait plus d’un an qu’on demande aux policiers des choses qui ne sont pas de leur ressort. Balancer de la lacrymo à longueur de soirée sur des migrants qui veulent passer en Angleterre, sur des militants ou des citoyens lambda, ne fait pas partie de l’ADN du policier. Ce n’est pas un hasard si, sur cette même période, on a enregistré le plus grand nombre de suicides dans la profession.

J-P.J. – Réintégrerez-vous la police ?

O.N. – J’étais amoureux de ce métier quand je l’exerçais. Maintenant, je suis amoureux de ceux qui le font et j’en parle. Je n’en suis pas sorti. J’ai trouvé un métier qui me permet aussi d’être utile à l’autre. Médecin, enseignant, policier, agriculteur sont  des vocations. Et c’est avec eux – eux qui soignent, éduquent, protègent, nourrissent – que l’on se montre les plus violents. On ne leur paye pas leurs heures supplémentaires, on leur enlève des moyens, du personnel, et ils continuent de travailler. Certains matins, tu as envie de tout envoyer balader. Et puis, quand tu arrives au commissariat, et que tu croises une victime avec le visage en vrac, tu te dis « allez, encore une journée… ».

J-P.J. – On vous sent  très engagé dans vos livres. Avez-vous déjà pensé à l’action politique ou syndicale ?

O.N. – Je parlerais trop ! Lorsque j’entends Macron donner des leçons à Bolsonaro, alors que les deux tiers du soja qu’on consomme viennent des zones déforestées en Amazonie, ou Brune Poirson, la  secrétaire d’Etat (auprès du ministère de la Transition écologique et solidaire, ndlr), en couverture de Paris Match nettoyant une plage en Inde alors que, quand elle y travaillait pour Veolia, elle a fait privatiser l’eau pour la revendre plus cher, ça me rend dingue… Alors, j’écris des bouquins. Je préfère hurler en liberté que de crier assis sur un coussin. Propos recueillis par Jean-Philippe Joseph

En savoir plus :

Né en 1975, Olivier Norek a étudié le droit avant d’effectuer des missions humanitaires en ex-Yougoslavie et au Surinam. Devenu lieutenant de police judiciaire en Seine-Saint-Denis, il publie Code 93 en 2013, premier volume de la trilogie du capitaine Coste. Entre deux mondes, sur la jungle de Calais, sort en 2017. Son dernier roman, Surface (2019), est en cours d’adaptation pour la télévision, de même que Code 93. « Amateurs de situations limites et d’images fortes, découvrez Norek », dit de lui Pierre Lemaitre dans  son Dictionnaire amoureux du polar.

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