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Sandra Aliberti, au pays de Ferré

Sur la scène, une voix s’élève. Douce et fragile. Piano et violon égrènent leur mélopée, le ton est donné. Le 23 janvier au Théâtre Traversière et au Forum Léo Ferré le 27 février, en compagnie de Sandra Aliberti, Ferré nous sera conté sur le mode de l’intimité.

 

 

 

Une voix comme chuchotante, que l’on croirait parfois murmurée à notre seule oreille… Telle l’équilibriste sur son fil, la chanteuse et comédienne semble caresser les mots pour poser la note juste sur le verbe poétique du rebelle. Chantés ou déclamés, les textes du grand Léo résonnent alors étrangement forts et limpides dans la bouche de Sandra Aliberti. Depuis l’enfance, elle se baigne à la source de cette « Mauvaise graine » plantée contre les maux de son siècle. « J’ai toujours aimé Léo Ferré », confesse l’interprète, « j’ai grandi, bercée par sa révolte. Sa lucidité âpre et sourde parlait à ma rébellion d’enfant, et plus tard d’adolescente. Depuis, il m’accompagne tout au long du chemin, avec lui je m’échappe dans des îles idylliques où n’abordent jamais les âmes des bourreaux ».

ferré1Aussi, aux lendemains de la commémoration du vingtième anniversaire de la disparition du poète, elle poursuit sa route sur les traces des « Morts qui vivent », alias « Monsieur William » et « Monsieur Tout Blanc » ! Avec « Des Voyageurs dans ta voix…Ferré. Chansons et Textes de Léo Ferré, Jean Roger Caussimon et Louis Aragon », un récital donné d’abord au Théâtre Traversière à Paris, ensuite au fameux et réputé Forum Léo Ferré d’Ivry… Un spectacle d’une rare sensibilité et d’un naturel gouleyant, servi par deux musiciens au talent confirmé (Lionel Mendousse au violon et Bertrand Ravalard au piano), de vrais complices en fait qui n’hésitent point à joindre leur timbre vocal au récital sensuel et velouté de leur comparse. A la création du spectacle, la presse fut unanime. Du Parisien à France Inter, de Télérama à L’Huma : « De La mauvaise graine à L’âge d’or en passant par Les Romantiques, le grand Léo aurait follement aimé le travail de cette interprète et de ses deux inventifs musiciens », écrit l’un, « nombreux sont les hommages, plus rares les spectacles de qualité qui redonnent à entendre quelques-unes des plus belles chansons de Léo avec une authenticité qui n’aurait pas déplu à l’artiste », note l’autre…

Ferré3« Il n’est pas évident de chanter Ferré, trop souvent on le plagie sans justement l’interpréter. Trop souvent, nous en avons souffert », soulignait Jean-Pierre Burdin en ces colonnes-mêmes lors de la création du spectacle en Avignon. « Précisément, en nous prenant par la main, avec confiance Sandra Aliberti saura nous transporter, nous déshabituer, déconstruire et renouveler notre écoute de Ferré. On aime Léo Ferré mais pourtant, chez lui la grandiloquence, l’assurance parfois, pointent le nez et peuvent agacer. Surtout d’ailleurs chez ceux qui, en l’imitant, grossissent le trait de l’icône stéréotypée de l’anarchiste qu’ils ont contribué à figer ». Et de conclure, enthousiaste, « Sandra Aliberti rend les choses simples, n’enlève rien à la force, à la virilité même de Ferré, au contraire elle la montre là où on ne l’entendait, là où on ne l’attendait pas. Pas comme cela du moins ».
Une certitude ? « Tu n’en reviendras pas, paroles d’Aragon et musique de Ferré », chante la subtile interprète. Nous non plus, après avoir écouté et applaudi Sandra Aliberti ! Yonnel Liégeois

Pour une première découverte du trio d’artistes : http://www.facebook.com/desvoyageursdanstavoix . Avec quinze chansons écoutables sur SoundCloud Widget et w.soundcloud.com

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Quand chanter rime avec convivialité

Le 15 novembre, rue Pajol, la chanson sera à l’honneur sur les planches de l’Auberge de jeunesse du 18ème arrondissement de Paris. Sous l’égide du GIPAA* et de la CNL*, un groupe de chanteurs fait son récital sur le thème de « La ville en chanson ». Comme chaque année, un spectacle de qualité dans une ambiance conviviale.

 

 

Tout commence en 2008 dans une brasserie du quartier de la Chapelle, cette année-là où le GIPAA organise son premier spectacle dans la tradition des cafés 11254798946_08dc71c1d6_qthéâtres. Concert puis restauration sur place. Véronique Besançon présente son tour de chant, composé pour l’essentiel de ses propres créations. Une première qui enchante le public et les militants de l’association, à tel point qu’une évidence s’impose immédiatement : Il faut récidiver, monter un autre spectacle !

Tout s’enclenche alors rapidement. Une association de quartier, proche de la Porte de la Chapelle, prête sa salle pour accueillir le concert suivant. D’autres amoureux de la chanson française se proposent d’accompagner Véronique, les militants de la CNL popularisent l’initiative. Depuis lors, chaque année des spectacles sont présentés aux adhérents du GIPAA et aux habitants du quartier. Des concerts à thème où une douzaine de chanteuses, chanteurs et musiciens, interprètent leurs morceaux favoris. Ainsi se succèdent, au fil des représentations, les soirées consacrées à la Commune de Paris, à Brassens et Ferrat, à la chanson contestataire autant qu’à la chanson humoristique. Il suffit de faire défiler la liste des thèmes proposés pour comprendre qu’une certaine sensibilité sociale se dégage du groupe. « Dans le sigle GIPAA, c’est le « P » de progressiste qui m’importe le plus », affirme Dominique Gueury. Quant à Sabine Belloc, elle avoue y retrouver surtout « une utopie de jeunesse ».
Pour autant, les liens qui unissent le groupe ne reposent pas sur une action politique à proprement parler. Ils se sont rencontrés, soit par la participation à des activités culturelles du GIPAA, soit par relations amicales. Il s’agit avant tout de développer le sens du partage. Des non ou mal voyants sont accompagnés par des voyants pour faciliter l’accès à un certain nombre de loisirs. La dimension humaine prime donc 15503732059_178cf2f232_qpour tous. D’abord entre les artistes. Les répétitions sont toujours vécues comme un moment fraternel. D’ailleurs, la plupart se côtoie en dehors de la préparation des spectacles. Ensuite, entre la troupe et le public. Les représentations sont systématiquement suivies par un repas. Spectacle et dîner forment un tout indissociable. Tous s’accordent à dire que la convivialité est déterminante dans leur engagement. Christophe Menez y voit même un sujet de réconfort personnel. « La montée de l’individualisme, des idées d’exclusion, du racisme est effrayante. C’est rassurant de constater qu’il existe encore des lieux ou la fraternité est bien réelle. »

Alors donc, avec le GIPAA et la CNL, côté cour et côté jardin, public ou accros du micro, tous chantent pour mettre en mots et musique une certaine idée des relations humaines. Ce qui ne conduit pas à mettre au second plan la qualité des prestations des uns et des autres. Bien au contraire. Si les interprètes se produisent bénévolement, ils se comportent en professionnels. Aux côtés de ceux qui se produisent toujours en « amateur », d’aucuns ont une solide expérience. Sabine Belloc fut intermittente du spectacle pendant dix ans, elle a présenté des spectacles consacrés notamment à Bobby Lapointe. Philippe Hutet a fait partie d’une troupe de théâtre et chanté du Boris Vian en public. Christophe Menez a enregistré un disque 11254482635_3f0a8297d2_qreprenant des titres de Brel et Ferrat, entre autres. Dominique Gueury vit de son art, actuellement elle présente son tour de chant à Paris. Toutes et tous ont la volonté, et le talent, de présenter un spectacle de haute qualité.
En 2013, à la sortie de la représentation dédiée à la chanson humoristique, le public se réjouissait d’avoir assisté à un très beau spectacle avec vidéos projetées sur grand écran. Tout comme les pros d’ailleurs puisque, pour la première fois, le théâtre de la Reine Blanche accueillait la troupe. Cette année, c’est sur la toute nouvelle et très belle scène des Auberges de Jeunesse qu’elle pose micros, voix et instruments. L’établissement disposant d’un restaurant à quelques pas de la salle, le passage de la première à la deuxième partie des réjouissances devient à son tour une partie de plaisirs ! Ambiance festive garantie, pour le plus grand bonheur de tous. Philippe Gitton

*Le Groupement pour une information progressiste des aveugles et amblyopes, GIPAA.
*La Confédération nationale du logement, CNL. Il s’agit de l’amicale des locataires d’une cité de la rue Raymond Queneau, proche de la Porte de la Chapelle. C’est là que se situe la salle où furent donnés les premiers concerts.
Le spectacle a lieu à partir de 16h. Salle de spectacle de l’Auberge de Jeunesse de Paris, 20 Esplanade Nathalie Sarraute, 75018 Paris. Une participation de 5 € est demandée pour couvrir les frais de location.

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La scène sur tous les fronts

Du « Capital » de Marx à l’évocation de la grande guerre 14-18, la scène fait front ! De l’écriture sulfureuse de l’uruguayen Calderón à des spectacles plus intimistes, de l’improbable ascension d’un silencieux encordé à la mystique intérieure de Claude Régy, subversion et méditation se donnent à voir et à entendre.

 

 

 

Attablés autour d’un plat de lentilles et de quelques litres de gros rouge au club des Amis du Peuple, ils parlent et débattent. De la vie en cours, de la révolution en marche surtout… Une brochette de grosses têtes pensantes, au temps de leur jeunesse houleuse et fêtarde, qui rêvent d’en découdre avec le pouvoir en place en cette année 1848 : Armand Barbès, Louis Blanc, Auguste Blanqui, François-Vincent Raspail et l’ouvrier Albert fomentent leur coup d’état ! Et dans les coulisses, Marx, son Capital et son singe… Point de romantisme à l’horizon, nous prévient Sylvain Creuzevault, l’auteur et metteur en scène de ce brûlot revisitant l’œuvre majeure du philosophe allemand, « l’humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier des tyrans aura été pendu avec les tripes du dernier prêtre » !
capitalSur le plateau en dispositif bi-frontal, il est peu de dire que le foutoir règne, un désordre aussi comparable à celui qui agite les esprits… D’autant qu’au côté de Marx, et de ses écrits, sont conviées quelques autres jolies plumes, Benjamin, Debord, Foucault, Lacan, au spectateur de retrouver qui a dit quoi au détour d’une vive polémique sur l’enjeu de la monnaie, entre valeur d’usage et valeur d’échange ! On l’aura compris, si la parole est souvent vaine dans ces propos échangés et souvent improvisés entre deux citations, elle peut être aussi subversive lorsqu’on en dépasse le sens premier pour approfondir le sujet : quel enjeu éthique et moral à l’engagement politique ? Un spectacle jouissif, en dépit de son propos fourre-tout et de ses longueurs, surtout quelques superbes numéros d’acteurs fort convaincants.

A la révolution des planches conduite par Creuzevault, répond le silence imposé par Claude Régy en son for « Intérieur », inspiré de Maurice Maeterlinck et créé à l’origine en 1985. Un texte et une mise en scène flamboyants dans cette mise à nu de la mort s’avançant sur un plateau de sable blanc et dans des lumières tamisées où le clair-obscur nous plonge entre lune et soleil au cœur même de la conscience humaine…
« Le directeur du théâtre de Shizuoka avait vu plusieurs de mes spectacles, il avait invité « Ode maritime » au Japon et c’est pendant que l’on jouait ce poème de Pessoa qu’il m’a demandé si j’accepterais de faire une création en langue japonaise avec sa troupe », précise le metteur en scène. « Le sujet même d’« Intérieur », son thème central, est la mort. Et dans tous les nô, la mort est un élément extrêmement présent : l’échange entre le monde des morts et le monde des vivants se fait de manière très fluide. Ce sont ces correspondances, formelles ou thématiques, avec le théâtre japonais qui m’ont amené à faire ce choix ».
intérieurÉconomie de mots et de gestes, épure de la parole et du mouvement, Claude Régy conduit sa troupe de comédiens japonais au sommet de leur art. Entre jour et nuit, ombres et lumières, du plateau à la salle nous assistons à ce qui relève de la magie ou du miracle du Verbe : le passage illuminé du sens profond d’une œuvre, sans fioriture ni machinerie sophistiquée qui masquent en d’autres lieux le vide du propos. Dans l’intime, le secret des consciences, se noue le dialogue entre la vie et la mort d’une fulgurante beauté. Claude Régy est un maître, orfèvre de l’espace scénique pour se rendre d’un point l’autre avec infime délicatesse et poésie. Avec lui, comme toujours, tout se joue à l’intérieur, de l’acteur comme du spectateur. Affirmer la beauté d’un tel spectacle relève d’une expression galvaudée, d’autant qu’il s’agit plus ici d’une authentique méditation : sépulcrale, lumineuse, bouleversante.

Et le silence s’impose encore en compagnie de Christine Citti qui nous l’affirme, « Je ne serai plus jamais vieille » ! Un spectacle déroutant, une parole forte, celle d’une femme harcelée au quotidien par son époux… Un magnifique texte de Fabienne Perineau, tout de violence contenue, pour faire émerger la parole et les souffrances cachées que subissent ces femmes dans vieillel’intimité même de leur couple. La mise en scène minimaliste de Jean-Louis Martinelli, l’ancien directeur des Amandiers de Nanterre, un fauteuil-un corps-une voix, éclaire avec justesse ce visage prisonnier de son propre calvaire, complice de son enfermement par peur des représailles et du qu’en dira-t-on, jusqu’au jour où la libération viendra de qui l’on ne l’attend pas… Comme avec Régy, la beauté nue sur le plateau par la force d’une parole subtilement incarnée !
Un silence encore plus fort, seule la musique livre sa partition, quand Fragan Gehlker fait « Le vide » autour de lui, accroché à sa seule corde qu’il n’a de cesse de remonter et de lâcher quinze mètres plus haut… Une heure durant, un exercice envoûtant, spectacle ou performance, où se noue et dénoue sous nos yeux le « mythe de Sisyphe » : une poétique de la corde, tension et répétition, une philosophie du temps qui passe et se la joue pour l’éternité, qui déjoue surtout la résistance physique au sens premier du terme, une quête initiatique de l’existence sans cesse à braver l’échec dans le vertige des hauteurs. Une musique du corps que l’on associera avec hardiesse à la silhouette longiligne et fragile de Barbara à son piano. Un même recueillement, une même concentration pour les deux artistes pétris d’incertitudes et de convictions : sans cesse agripper le filin pour l’un, sans cesse enlacer son public pour l’autre dans sa « plus belle histoire d’amour » ! C’est ce que nous propose la troupe du Français dans ce sublime « Cabaret Barbara » orchestré par Béatrice Agenin.

Quand la musique se tait, celle du clairon, en même temps que le bruit du canon, alors commence le temps du souvenir et de la mémoire. « La grande boucherie », une trop lourde tragédie que d’aucuns préfèrent subvertir en comédie légère et sylvie-Gravagna1caustique… Tel est le pari osé, et gagné, de Sylvie Gravagna, alias « Victoire, la fille du soldat inconnu » sur les planches du Grand Parquet* ! Entre deux airs de Mireille et Jean Nohain, elle revisite en fait l’histoire de la libération des femmes entre les deux guerres, de sa naissance un 14 juillet 1916 jusqu’en cette année 1949 où elle s’attelle à la lecture du « Deuxième sexe » de Simone de Beauvoir. Prolétaires, pétroleuses, suffragettes et résistantes de tout temps, les femmes incarnent la totale « Victoire » dans le regard de la comédienne : contre la haine et l’absurdité de la guerre, contre un pouvoir économico-politique avilissant et un machisme ambiant. Entre humour et tendresse, la mise en partition d’une épopée féminine qui n’en finit pas de s’écrire et de se chanter.
Un regard bien différent, sur cette époque qui court de 1915 à 1919, quand « Mon colonel » entame ses échanges épistolaires. Mises en espace par Laurent Claret, les lettres que son arrière grand-père, colonel à la retraite, reçut du lieutenant Bertrand mobilisé sur le front… Des missives révélatrices de l’état d’esprit d’une époque où succèdera bientôt au bruit des armes la guerre industrielle sur les ruines d’un monde en faillite. Une descente aux enfers pour un homme blessé, usé et meurtri qui pressent ce qu’il en adviendra trente ans plus tard, avec l’échec de la Société des Nations et l’humiliation infligée aux Allemands par les alliés. Un petit air de musique, une malle pour tout paquetage, une correspondance sans lumière d’espoir et lourde de mauvais présages joliment mise au pas en toute intimité.

Dans l’attente de la reprise en tournée de « Uruguay Trilogie », trois pièces de Gabriel Calderón mises en scène par Adel Hakim ( « Ore », « Ouz », Mi munequita »), le lecteur-spectateur pourra se délecter du hors-série que Frictions,l’excellente revue de notre confrère Jean-Pierre Han, par ailleurs rédacteur en chef du mensuel Les Lettres françaises, HS5-grand consacra à l’auteur uruguayen. « A travers la famille, Calderón aborde presque tous les termes de la globalisation », souligne Adel Hakim. « La violence, les guerres, le terrorisme, l’influence de la religion, la sexualité, le refoulement, l’angoisse de l’avenir et la hantise du passé… ». Une écriture totalement déjantée, subversive, explosive, démesurée, « un théâtre sud-américain qui fait souffler une tempête insolente sur la scène parisienne » aux dires de ses plus fins connaisseurs. En tout cas, un théâtre à découvrir au cœur même de ses outrances.
Une insolence aussi que ce combat de « Nègres » contre le monde blanc, tel était le projet iconoclaste de Jean Genet en son temps, le renversement des mondes et des couleurs par l’écriture scénique… La pièce n’a rien perdu de sa flamboyance sous les projecteurs, costumes et paillettes à profusion, Genet lui-même parlait de « clownerie » à propos de son œuvre. Une langue verte et fleurie, une langue réaliste et poétique, tout se mélange et son contraire sous la plume de Genet, le blanc et le noir, la révolte et la soumission, le stupre et la piété. Le beau et le laid, l’essentiel et l’accessoire, comme dans la mise en scène de Robert Wilson. Yonnel Liégeois

*Du 5 au 9/11, se tient au Grand Parquet « Les Hauts Parleurs, laboratoire vivant de la parole théâtrale », un temps fort dédié aux auteurs d’aujourd’hui. Autour de 40 auteurs et 50 artistes, se succéderont lectures-débats, tables rondes, cabarets d’écrivains et apéros impromptus. Entrée libre, dans la limite des places disponibles (réservation conseillée), hormis la soirée du 8/11 (6 €).

Du 15 au 22/11, la commune de Séné, dans le Golfe du Morbihan, met son Grain de Sel en organisant ses journées « Aux œuvres, citoyens ! ». Avec une grande journée de débats et réflexions, le 22/11, entre élus, citoyens et artistes.

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Le Forum Léo Ferré, sous le signe de l’ouverture

Depuis septembre 2013, les amoureux de la chanson française poussent de nouveau les portes de la salle de spectacle de la Porte d’Ivry, le Forum Léo Ferré. Pour retrouver la formule qui a fait le succès des lieux : accueil convivial autour d’un repas, proximité entre public et artistes. Tout ne se résume pourtant pas à la reprise des anciennes recettes. Nouvelle équipe, nouvelles ambitions.

 

leo1Voici près de deux ans, Gilles Tcherniak apprend la fermeture du Forum Léo Ferré. Comme d’autres, il reçoit cette annonce comme une triste nouvelle, tant il a l’amour de la chanson française chevillé au corps. Fils des cofondateurs du Cheval d’Or, il a grandi dans les coulisses de ce cabaret (lire son ouvrage, « Derrière la scène, les chansons de la vie« , paru aux éditions L’Harmattan) qui fit les beaux jours d’une pléiade d’artistes dans les années 1950-60, tels Boby Lapointe, Raymond Devos, Ricet Barrier et bien d’autres.
L’homme d’action ne reste pas bien longtemps l’arme aux pieds, il est du genre à se mêler des choses qui le regarde ! « Ce n’est pas dans ma nature de me lamenter sur un échec », assure-t-il. Sans nul doute il tient cette conviction d’un parcours professionnel, politique et syndical, qui l’a conduit à défendre le loisir et la culture comme des biens indispensables à la vie des gens. Sans tarder donc, il active son réseau de connaissances, une quarantaine de personnes répondent à son appel. Des artistes et des gestionnaires. La décision est prise : monter immédiatement un projet pour redonner vie à ce lieu. Un an et demi de travail plus tard, les artistes se produisent de nouveau au Forum. L’idée forte du collectif ? Étendre la programmation à de nouveaux horizons.
leo5Et d’abord aux nouvelles générations… Désormais, au côté de celles et ceux qui ont fait les heures de gloire du lieu (Francesca Solleville, Jacques Bertin, Yvan Dautin, Gilbert Lafaille, Sarclo et compagnie…), le Forum se tourne vers les chanteuses et les chanteurs en devenir. Aussi bien les artistes peu connus mais bénéficiant d’une certaine expérience, que les débutants. Des soirées « Banc d’essai » sont organisées pour révéler les nouveaux talents, une fois par mois sept artistes se relaient sur scène. Avec un invité surprise en guise de maitre de cérémonie. « Dans tous les cas, nous restons fidèles à la même conception de la chanson. Celle que je qualifierai de non-crétinisante, expression que je préfère à celle de chanson à texte qui a pour effet rendre le genre trop sérieux et de plomber à priori la réalité des spectacles présentés, » souligne Gilles Tcherniak.

Le Forum souhaite également donner toute sa place aux interprètes, écornant ainsi le culte des « A.C.I. » (Auteur, Compositeur, interprète). « Les œuvres poursuivent leur vie au-delà de leur créateur grâce aux chanteuses et chanteurs qui, par leur talent, redonnent vie, réinventent parfois un répertoire » martèle l’expert en la matière. Des spectacles permettent ainsi de retrouver pour certains, de découvrir pour d’autres de grands auteurs : Barbara, Ferrat ou bien encore Felix Leclerc…
leo4La chanson française n’est pas le seul mode d’expression qui fait vibrer la bande du Forum. « Je ne comprends pas cette habitude de cloisonner les genres. Nous attachons une grande importance à la variété des styles », précise-t-il. Les murs de la salle prennent donc l’habitude de résonner aux sons des musiques dites du Monde comme le Fado, du jazz, de la pop rock et même de la musique classique. L’essentiel, de toute évidence, pour la nouvelle direction du lieu ? Faire découvrir le goût du partage des émotions musicales, défendre une idée simple : la musique, d’où qu’elle vienne, s’apprécie dans un lieu conçu pour l’écoute. Vers la scène rénovée du Forum, la nouvelle équipe souhaite donc attirer un nouveau public. Gilles Tcherniak en est intimement convaincu : il faut donner envie aux gens de venir dans les salles, le spectacle vivant se respire dans ces lieux de rencontre ! Alors, autant commencer de bonne heure en s’adressant aux plus jeunes, histoire de prendre de bonnes habitudes… D’où un projet ambitieux qui mûrit dans l’esprit de Gilles : proposer aux établissements scolaires de la ville d’Ivry d’initier les jeunes au spectacle vivant en les invitant à découvrir des artistes sur scène. Pour de vrai !
A n’en pas douter, le Forum Léo Ferré s’ouvre plus que jamais au monde qui l’entoure. Un avenir prometteur !
Philippe Gitton

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En voyage avec Léo Ferré

Feuilles volantes ? Idées, impressions flottantes, subjectives, éphémères, jetées à la dérive pour faire venir le poème en nous… Comment l’esprit d’un lieu, un bruit, une image, des musiques, un texte, un travail, un film, un parfum-même, nous atteignent dans notre quotidien, nous altèrent et nous désaltèrent, nous invitent à renouveler notre présence au monde.

C’est une belle matinée. Le soleil qui joue lestement avec les nuages laisse  deviner qu’au dehors l’air est léger. Le printemps semble précoce, à cette date on le sait fragile. Qu’importe, puisque la radio diffuse une joie dansante dans la pièce où je suis, la rendant plus spacieuse encore. Sur l’écran bleu de l’ordinateur, lecture matutinale du  courrier numérisé de la nuit.

Sandra Aliberti m’annonce qu’elle reprend son spectacle  « Des voyageurs dans ta voix… Ferré ». Gérard Astor, en passe de quitter la direction du théâtre Jean-Vilar de Vitry (94) a eu  la bonne idée de l’accueillir le samedi 22 mars, pour le printemps justement. Matinée chantante donc. En juillet 2013 à Avignon, j’ai entendu Sandra Aliberti chanter Ferré. C’était le soir de mon arrivée, Sandra ouvrait la programmation du Festival au Théâtre de la Rotonde. Plein de choses m’attachent à ce lieu, me disposent à accueillir effectivement  de nouvelles interprétations des chansons de Ferré : état d’esprit et ferré1esprit du lieu. Accords. Je ne connaissais pas Sandra mais j’étais  préparé à une telle rencontre et à la  découverte du spectacle qu’elle donnait avec sa formation, « La compagnie la Canopée » : Bertrand Ravalard au piano, Lionel Mendousse au violon. Ce fut effectivement une bien belle chance de les entendre, ce soir là !

 Nous étions  hors les murs,  en dehors des atmosphères festivalières enfiévrées qu’on ne cachera pas aimer aussi. On peut avoir plusieurs fidélités.  Ce théâtre doit son nom d’être situé précisément derrière la rotonde SNCF, entre ses bâtiments annexes et  les cités cheminotes qu’il  jouxte. Pour tout dire, c’est dans un  lieu un peu improbable pour le commun que les cheminots, avec leur comité d’entreprise, ont construit leur salle. Leur salle qui se met en juillet à l’horloge d’Avignon.

Beaucoup se perdent pour arriver là. C’est toujours fléché à la hâte et mal fichu. On dirait que c’est fait pour ceux qui … connaissent déjà ! On a beau pourtant y être allé plusieurs fois, chaque année on s’égare ! Déjà, à la sortie d’Avignon, au sud, il faut prendre la bonne porte pour, en prolongement de la rue Guillaume Puy, suivre la rue Pierre Semard ! Il faut accepter ensuite, c’est déjà un peu loin, d’errer  un peu dans le labyrinthe  des logements ouvriers encore sous la lourdeur d’un après-midi qui s’achève péniblement.  Mise à l’épreuve nécessaire, sorte de parcours initiatique. La colère s’apaisera lorsque l’on débouchera enfin, presque par surprise, sur un espace qu’on découvre d’emblée comme cordial, à proximité des voies de chemin de fer…

Le lieu prend les dimensions du rêve, le regard s’ouvre à l’emprise d’un vaste ciel, l’air circule. On est là dans une partie de campagne, un peu friche, et avant d’arriver on n’imaginait vraiment pas découvrir un havre si vite familier. Le soleil décline lentement, dilatant par l’effet des ombres un espace pourtant déjà large. On est déjà à la fraiche, bientôt les épaules se couvriront d’un gilet jeté sur l’épaule.

Le travail, dans toutes ses dimensions sociales, de luttes, de loisirs, de plein-air, de fête, de tchatche à n’en plus finir, offre là une belle scénographie et une instructive leçon de sociologie ouvrière. Bien sûr, il y a une buvette tenue par les cheminots ! Autour des tables, des enfants jouent. Peu de lieux condensent, pour moi, tant d’impressions et d’images reçues de la sensibilité des films de Renoir. Sans doute d’être en Provence ouvrière joue aussi.

Tiens en voilà un film de Renoir, par exemple, qui me vient à l’esprit, par associations d’images, en rédigeant cette feuille volante, qu’il nous faudrait revoir aujourd’hui, ce « Déjeuner sur l’herbe » où nos ouvriers et techniciens, regroupés peut-être avec leur comité d’entreprise, sont partis camper un week-end. En ce temps, le camping sauvage est encore assez facile à la proximité des villages provençaux.  Renoir. On est en  1959… Les comités d’entreprise ont alors une quinzaine d’années.  Le film dit bien sûr, également, d’autres choses.  Pourtant  en filigrane, ce soir de juillet, lorsque je vois les corps, les attitudes, lorsque j’entends les intonations, les parlures, ce sont de semblables histoires qui sont ici pour moi  palpables. Un lieu porte en lui tout un univers social.

Ferré3Ce soir-là, c’est par la voix de Sandra Aliberti qu’Éros nous entraine. Le « public », là, est déjà constitué dans son identité sociale. Il fait peuple. Peu sont à ne pas se connaitre. Cela s’entend dans le bruissement de la salle quand elle s’installe, aux interpellations qu’on se lance d’un bout à l’autre, les nouvelles qu’on s’échange les uns des autres.

Cette salle familière et bondée, on peut la penser comme acquise à l’artiste, mais un public acquis  n’est pas un public gagné d’avance. Tout le contraire, il peut justement être déçu s’il ne trouve ce qu’il attend trop ! Elles reviennent  tellement vite aux lèvres ces chansons interprétées par Léo Ferré dont il est l’auteur, parfois avec Jean-Roger Caussimon ou Aragon. On croit connaitre la chanson ! Eh bien non précisément, Ferré n’en a pas épuisé les voix possibles.  D’autres voyages sont envisageables et Sandra s’appuiera sur bien d’autres ressorts pour nous  dépayser, nous emmener précisément en voyage dans un univers connu mais pourtant qu’on reconnait mal d’emblée sur ses propres lèvres.Jusqu’à ce qu’elle nous en fasse découvrir des sens et  enchantements insoupçonnés.

FerréSandra Aliberti a un respect profond pour son public. C’est le moins, direz-vous, pour une artiste, de respecter son public. Toutefois, on a le droit d’avoir des  amitiés particulières, de trouver chaque fois avec sa salle une complicité nouvelle, inédite. Cette attention, on la lit dans son regard et on sent la présence, avant même qu’elle entonne la première note, pour imposer d’abord un silence disposant à l’écoute attentive. Il n’est pas évident de chanter Ferré, trop souvent on le plagie sans justement l’interpréter. Trop souvent, nous en avons souffert. La chose pas facile. Précisément, en nous prenant  par la main,  avec confiance elle saura nous transporter, nous  déshabituer, déconstruire et renouveler notre écoute de Ferré. Ce soir-là, elle a su déstabiliser, en douceur, intelligemment, son public, reconquérir en quelque sorte la salle en déhanchant musiques et chansons de Léo.

SandraSandra Aliberti ne fait pas du Ferré, elle en révèle  des choses cachées, secrètes, des subtilités, des malices qui sont bien sûr chez Ferré mais comme masquées et qu’on n’y entendait pas. Elle semble nous dire « vous n’y êtes pas, vous êtes lourds, les amis, c’est sensuel, plus fin encore. Plus subtil. Lâchez prise. Vous êtes patauds, laissez-là vos godillots, chaussez vos souliers de danse. Allez, swinguer… ».  Elle allège. On aime Léo Ferré mais pourtant, chez lui la grandiloquence, l’assurance parfois, pointent le nez et peuvent agacer. Surtout d’ailleurs chez ceux qui, en  l’imitant, grossissent le trait de  l’icône stéréotypée de l’anarchiste qu’ils ont contribué à figer. Sandra Aliberti rend les choses simples, n’enlève rien à la force, à la virilité même de Ferré, au contraire elle la montre là où on ne l’entendait, là où on ne l’attendait pas. Pas comme cela du moins. Cette fragilité m’enchante. Sandra est belle. J’ai aimé, beaucoup aimé. Dès le récital fini, elle vient vivement à la rencontre de la salle avec ses deux musiciens. On sort, la nuit est étoilée. Un ami me ramène en voiture au centre d’Avignon. On fredonne. Jean-Pierre Burdin

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Juliette, madame Nour

Après trente ans de carrière et quelques « Disque d’or » à son actif, Juliette n’en poursuit pas moins sa quête chansonnière. Signant de son nom pour la première fois son dernier CD, sillonnant aujourd’hui les routes de France et de Navarre  avec « Nour ».

 

Juliette1La signification de « Nour » ? « Un nom arabe venu d’un grand-père kabyle, Noureddine, un beau nom qui signifie Lumière de la religion », commente Juliette. Et la lumière, la chanteuse la fait au fil de dix chansons qui mélangent pêle-mêle amour et rébellion, humour et poésie pour compatir avec toutes ses consœurs, femmes battues dans « Une petite robe noire », louer sans souci « L’éternel féminin » autant que la fille « Belle et rebelle », ne pas rougir de honte d’avoir « Les doigts dans le nez » et se moquer sans vergogne des contes de fée et autre « Légende »… Un bel album ciselé au fil de l’actualité, Nour justement, pour chanter le droit de mourir dans la dignité ou bien celui d’aimer qui vous voudrez. Des paroles et des musiques alertes servies par sa bande de musiciens et de copains, dont l’inénarrable François Morel. De belles chansons, mieux encore des chansons « re-belles », comme toujours…

Salle comble en cette soirée parisienne. Le public accueille l’une de ses divas, toute en rondeurs dans son costume de scène. Comme le nez de Cyrano, Juliette au micro, c’est un pic, c’est un roc, c’est un véritable phénomène : faisant son numéro entre chaque chanson, interpellant le public de sa gouaille poétique avec humour ou émotion en fonction de son inspiration, prenant véritablement plaisir à communier ainsi avec la salle. En totale complicité avec sa bande de musiciens qui jouent le jeu à la perfection… « Plus que tout, j’aime la scène et la rencontre avec « les gens » ! », confesse la gamine qui fit ses gammes à Toulouse, « c’est là que la création prend tout sons sens, puisqu’elle se renouvelle chaque soir selon les ambiances, les envies, l’énergie ».

juliette-4En 2006, « Mutatis Mutandis », un précédent album, l’avait couronnée d’une Victoire de la Musique, mais Juliette n’est pas femme à se reposer sur ses lauriers. Deux ans plus tard, elle nous offrait ses « Bijoux et babioles » qui, d’un titre à l’autre, dérapait sans prévenir entre la rigolade des « Lapins » de François Morel, l’humour noir de la « Tyrolienne haineuse » de Pierre Dac et le sérieux d’un « Aller sans retour »… En 2011,  » enfant de Thorez et de Jacques Duclos « , enfant de la  » Rue Roger Salengro « , elle nous l’affirmait pourtant sans détour, elle était  » No Parano « . Un album de douze chansons où faisaient bon ménage Salvatore Adamo, Serge Gainsbourg, Jacques Prévert et Victor Hugo, un album qui mêlait encore une fois frivolité et autodérision dans une polyphonie de styles musicaux.

« Il y a tout à la fois continuité et rupture entre mes divers albums, des thèmes communs qu’ils soient musicaux ou textuels », commente l’envoûtante Juliette. « Mutatis Mutandis était plus « brillant », plus latin, dans tous les sens du terme ! Même s’il reste dans la même veine – il y a encore de la bossa, de la milonga, des sons pseudo-orientaux -, « Bijoux et babioles » se révélait d’une facture plus intimiste ». Et « Nour », le dernier né ? « Un opus plus contrasté que d’habitude », confesse Juliette. Un rythme de funk pour « Belle et rebelle », de la musique celtique sur « Jean-Marie de Kervadec », des touches de hard rock avec « L’éternel féminin »… « J’ai une large palette de goûts, j’aime tous les styles et je n’hésite pas à en user pour colorier mon univers ».

Promo-2Juliette ? Une auteure-interprète qui ne se gêne pas, tant par ses propos que par ses chansons, d’afficher la couleur, revendiquant simplement une conscience politique comme tout citoyen… A gauche, résolument à gauche ! Ainsi en allait-t-il déjà pour son émouvant et superbe « Aller-retour » dans le précédent album, un hommage à tous ces exilés contraints de quitter leur terre comme le fit son grand-père kabyle quelques décennies plus tôt. « J’ai été fort touchée par les reportages montrant les exilés en attente de passer en Angleterre, à Calais et dans sa région.  » Le racisme est une réalité intolérable « , confie Juliette, « la bêtise et la haine sont toujours présentes et bien vivantes. Je crois qu’il n’y a que de réelles volontés politiques pour tenter d’arranger un peu les choses. Et l’éducation devrait être au centre de toutes les préoccupations de notre monde en déglingue ».

Pas étonnant, donc, qu’aujourd’hui la dénommée Juliette Noureddine nomme « Nour » son dernier opus : que toute la lumière soit faîte sur la connerie de notre temps entre petits bonheurs et grands malheurs ! Entre rire et gravité, amour et colère, dérision et rébellion. Propos recueillis par Yonnel Liégeois

« Nour », par Juliette. Un CD Polydor/Universal, 17€. En tournée nationale à partir de janvier 2014.

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