Historien et chercheur au CNRS, Claude Pennetier dirige l’équipe du réputé « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier ». Une œuvre monumentale qui s’étoffe avec le nouveau Maitron, « Mouvement ouvrier, mouvement social, de 1940 à mai 1968 ».
Yonnel Liegeois – En quoi ce nouveau « Maitron » se distingue de son prédécesseur, l’incontournable Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier ?
Claude Pennetier – Il ne se présente pas en rupture avec la démarche qui a présidé à l’élaboration de l’œuvre colossale du regretté Jean Maitron, disparu en 1987. Ce nouveau « Maitron » est vraiment dans la continuité de l’entreprise initiée dès l’origine par les Éditions de l’Atelier, anciennement Les Éditions Ouvrières. L’aventure se poursuit, certes avec un renouvellement des axes de recherche, mais le nom affiché reste le même : le Maitron ! Dans cette nouvelle série, on part de l’âge d’or du mouvement ouvrier, celui des années 50, pour élargir notre regard aux diverses facettes du mouvement social. En dialoguant avec les acteurs du mouvement associatif sur la question de l’école, par exemple, de l’éducation populaire, du féminisme, du tourisme social… Jusqu’en 1968, cette période de l’histoire se caractérise comme un grand moment du mouvement revendicatif. Avec ce nouveau titre, « Mouvement ouvrier, Mouvement social », certes on systématise une approche, mais elle fut toujours présente dans le Dictionnaire.
Y.L. – Quels sont les méthodes de travail, les choix éditoriaux qui ont présidé à cette nouvelle édition ?
C.P. – La marque de fabrique perdure : qu’il s’agisse de l’ancien ou du nouveau, le Maitron demeure le fruit d’un travail collectif. Avec un groupe d’une cinquantaine d’auteurs, et plus de trois cents collaborateurs organisés en équipes régionales pour valoriser le travail, redonner place et vie à ces hommes et femmes souvent peu connus qui ont contribué à faire l’histoire au quotidien… Cette nouvelle approche éditoriale nous permet toutefois de rentrer dans un parcours un peu plus complexe avec la prise en compte de mémoires diverses. Celle des guerres coloniales, celles des acteurs de mai 68 marqués par l’épisode de la guerre d’Algérie… C’est en quelque sorte, par biographies interposées, une réflexion approfondie sur les clivages intergénérationnels : quid de la génération de la Résistance ? Celle d’Algérie, celle de tous les mouvements anti-colonialistes ? D’où le regard plus aiguisé que nous portons sur le mouvement culturel de cette époque là, qu’il soit littéraire, cinématographique ou théâtral : il véhicule d’une autre façon les valeurs et idéaux dont ces militants étaient porteurs.
Y.L. – Si le « maître » et penseur de cette entreprise hors du commun débutée en 1955, n’est plus, on ne peut dire que le Maitron soit moribond ?
C.P. – Bien au contraire ! Une nouvelle fois, les organisations syndicales à l’unanimité ont salué la sortie de ce nouveau « Maitron ». Toutes, de la CFTC à la FSU, en termes élogieux, la CGT pour sa part saluant « la diversité des biographies qui rendent compte d’un quart de siècle de luttes pour le progrès social, la libération des peuples, la paix et la démocratie »… Grâce à Jean Maitron, a soufflé sur la recherche historique un esprit nouveau. D’abord parce qu’il est parvenu à donner place et autorité à l’histoire du mouvement ouvrier au cœur même de la recherche universitaire, ensuite et surtout parce qu’il a initié une nouvelle façon de réfléchir à l’Histoire qui ne se contentait plus d’être l’histoire seule des grands noms ou des grandes figures. Maitron est un personnage d’une stature comparable à celle de Langlois : sauver de l’oubli grâce au dictionnaire tous les noms des acteurs du mouvement ouvrier, sauver de la perte grâce à la Cinémathèque française tous les films, petits ou grands. Enfin, modernité oblige, le Dictionnaire de papier s’enrichit désormais d’une édition cédérom en perpétuelle réactualisation. Une version qui triple, parfois quintuple presque la quantité de biographies répertoriées dans chaque volume, avec une riche iconographie, une série d’outils en prime. Propos recueillis par Yonnel Liégeois
Le Maitron, « Dictionnaire biographique, mouvement ouvrier mouvement social, de 1940 à mai 1968 » comprend douze volumes. Ce nouveau « Maitron » s’inscrit dans la précédente collection de 44 tomes parus et rassemblant 110 000 biographies de militants connus ou inconnus qui ont fait le mouvement ouvrier depuis la Révolution française.