Le comédien n’est plus, André Wilms est décédé le 9 février. Au théâtre, il a joué avec les plus grands. Au cinéma, il a trouvé chez Aki Kaurismaki, le cinéaste finlandais, son alter ego. Nous l‘avions rencontré au CDN de Montreuil (93), croisé sur d’autres scènes : une voix, une présence, un regard… Remarquable, l’article de notre consœur Marie-Jo Sirach, paru dans le quotidien L’Humanité, évoque avec émotion et empathie la singularité du personnage. Yonnel Liégeois

La nouvelle a jeté un froid. André Wilms est mort. Il avait 74 ans. On ne connaît pas les raisons de sa mort, quelle importance… On ne verra plus sa silhouette sur les planches. On ne le croisera plus au théâtre. À la ville, c’était un homme discret et élégant. À la scène, à l’écran, un acteur qui dégageait du mystère, dans ses mouvements, ses déplacements, dans ce phrasé si singulier, cette façon de dire les mots, de les prononcer, de cette belle voix grave, profonde, avec retenue. Une retenue qui laissait entrevoir un bouillonnement intérieur, une maîtrise de l’art de l’acteur qu’il n’avait jamais appris, ni dans les livres ni dans les écoles. André Wilms est venu au théâtre par hasard, par la plus petite des portes. Et c’est en regardant les autres travailler, en les observant, en les admirant qu’il a appris son métier.
Comme ceux de sa génération, il se rêvait rockeur
Avec un CAP de staffeur en poche, il exerce quelque temps comme peintre en bâtiment. Le hasard, qui fait parfois bien les choses, lui permet de travailler comme machiniste au Grenier de Toulouse, dirigé alors par Maurice Sarrazin. Une figuration de temps en temps, et le voilà qui met un pied sur les planches. Mais, happé par la politique, adhérent à la Gauche prolétarienne, il se détourne du théâtre en gueulant « À bas le théâtre bourgeois ! ». Mais militer ne nourrit pas sa famille. Un ami lui suggère alors de rencontrer le metteur en scène allemand Klaus Grüber, qui monte Faust-Salpêtrière dans la chapelle de l’hôpital, à Paris. Nous sommes en 1975. Grüber l’engage mais ne lui confie que quelques lignes. Le reste du temps, il marche sur le plateau, mutique. Le spectacle provoque un électrochoc dans le paysage théâtral.

Wilms retourne dans son Alsace natale, croise André Engel, qui monte Baal, de Brecht. Il rejoint l’équipe du Théâtre national de Strasbourg dirigé par Jean-Pierre Vincent. Il y a là Michel Deutsch, mais aussi Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy. Il observe Philippe Clévenot dont il admirait le jeu, ne comprend rien aux indications de Jean-Pierre Vincent qui, pour lui faire ralentir son débit, le sifflait lors des répétitions. Wilms l’Alsacien, qui se souvient qu’enfant on l’obligeait à mettre un galet dans la bouche à l’école s’il parlait l’alsacien, apprend à moduler son débit, à gommer son accent. Mais c’est cette langue maternelle qui rythme et module son phrasé, si particulier, si reconnaissable. Dans le collectif strasbourgeois, la consigne est de lire tout ce qui vous tombe sous le coude. Wilms lit beaucoup, énormément, apprend à maîtriser le flux des mots que l’on doit aussi entendre par le corps.

Il apprend, aux côtés de Grüber, à « pleurer de l’intérieur ». Jouer sous la direction du metteur en scène allemand, c’était comme « une cure d’amaigrissement », ne pas jouer gras. Pour son Robespierre dans la Mort de Danton, il ne croise pas ses mains dans le dos. Il joue la complexité, le mystère du personnage. Une partie du public strasbourgeois, celui qui ne comprend pas que « tu roules dans une voiture pas lavée », fuit le TNS. L’aventure dure quelques années. André Wilms découvre Heiner Müller par l’entremise de Jean Jourdheuil et de Jean-François Peyret. Il apprend la lenteur et défend l’idée qu’elle est révolutionnaire. Son dernier rôle, il le tient dans la Fin de l’homme rouge, de Svetlana Alexievitch, mis en scène par Emmanuel Meirieu, en 2019. Il était simplement magistral, impressionnant. Sa voix, hypnotique, habitait tout l’espace.
Comme ceux de sa génération, il se rêvait rockeur. Et Wilms jouait comme un rockeur, pratiquant cassures et autres césures dans le rythme, jamais dans l’emphase, laissant filtrer les silences entre les mots ou les notes. L’Alsace était une terre de rockeurs, disait-il en pensant à Bashung, à Rodolphe Burger…

Il a joué avec les plus grands, a lui-même mis en scène des opéras, de nombreuses pièces. En parallèle à sa carrière au théâtre, le cinéma fait appel à lui. Il forme, aux côtés d’Hélène Vincent, un couple de grands bourgeois, les Le Quesnoy, aussi déjantés l’un que l’autre. Son rôle du père dans la Vie est un long fleuve tranquille le fait connaître du grand public. Mais c’est dans les films d’Aki Kaurismaki, son alter ego, qu’il donne toute sa mesure. La complicité qui les unit crève l’écran. Le mutisme des personnages du Finlandais n’effraie pas l’acteur. Au contraire. Wilms traverse l’univers filmique poétique de Kaurismaki avec force et un engagement qui redonne de la dignité à ces personnages de la marge.« Je n’ai jamais appris à boxer sur un ring, j’ai appris à marcher sur un ring », avouait Carlos Monzon. André Wilms faisait sienne cette devise, tout comme celle d’Alain Cuny : « Je n’ai jamais appris à jouer au théâtre, j’ai appris à marcher sur une scène ». Marie-José Sirach