La marionnette, enfin adulte

Jusqu’au 4 juin, en Île-de-France, la Biennale internationale des arts de la marionnette offre un panorama de la création contemporaine. Une 11ème édition de la Biam, avec des personnages et des histoires pour grandes personnes : quand la marionnette devient enfin adulte !

Les premiers spectacles rattachés à cette discipline remontent au XVIIe siècle en France. « Aujourd’hui, ils témoignent de révoltes et de combats pour plus d’égalité, de solidarité et de ­liberté. La jeune génération d’artistes a choisi la manipulation et l’image pour nous exhorter à réfléchir et nous mettre en garde », pointe Isabelle Bertola, la directrice du Mouffetard label­lisé Centre national de la marionnette, qui organise et coordonne avec plusieurs partenaires la Biennale internationale des arts de la marionnette (Biam). Jusqu’au 4 juin, 39 spectacles différents, joués 138 fois au total dans 18 villes d’Île-de-France, offriront un large panorama d’un art en mutation.

Cette 11ème édition a notamment enfilé joggings et baskets pour se mettre aux couleurs des JO de Paris 2024. Des « formes olympiques », comme À vous les studios, sont ainsi proposées gratuitement dans certaines vitrines de commerces, explique Benjamin Ducasse, de la compagnie les Maladroits. « C’est l’histoire d’un coureur cycliste racontée en direct à la télévision », dit-il. « Les artistes et les sportifs ont des questionnements communs », poursuit Isabelle Bertola, « qu’il s’agisse de la diversité sur les pistes ou les scènes, du handicap, du genre, de l’égalité hommes-femmes, etc… ».

Les Maladroits ont présenté aussi Joueurs, une pièce qui questionne « l’art, la politique, l’amitié et l’engagement militant à travers le conflit entre Palestine et Israël ». Dans ce cas, la compagnie pratique un théâtre d’objets. « L’utilisation d’ustensiles de la vie quotidienne employés sans les transformer, mais en détournant leur sens, est un langage qui casse des barrières et démontre que le théâtre, et plus largement le concert ou l’opéra ne sont pas réservés à certains publics », affirme Benjamin Ducasse.

« Nous parlons désormais de marionnettes, en même temps d’objets, d’images, de machineries, bref, c’est tout un théâtre de la manipulation qui met en avant non pas l’acteur-manipulateur mais la forme, la matière, qu’elle soit figurative ou pas », confirme la directrice du théâtre le Mouffetard. Une analyse que partage aussi Johanny Bert, qui conçoit des spectacles pour adultes mais aussi parfois pour le jeune public. « Dans un type de théâtre intégrant des objets ou/et des marionnettes, la qualité de l’interprétation doit être excellente« , insiste- t-il. « Afin que le spectateur soit entièrement conquis, il est demandé au comédien-manipulateur beaucoup d’humilité, car c’est la marionnette qui capte l’attention, pas lui (ou elle) ».

Écrivain et spécialiste de cet art, Paul Fournel se réjouit de ce renouveau. « Depuis dix ou quinze ans, on ne peut plus parler d’une, mais de multiples esthétiques de cette forme théâtrale, et cette recherche constante de la différence fait la force de la marionnette contemporaine ». Ce que ne contredit pas l’Italienne Marta Cuscunà, artiste internationale invitée de cette édition avec trois de ses créations qui bousculent les imaginaires.

Les évolutions interpellent les formes mais aussi les contenus et quelques-uns, comme Paul Fournel, qui a jadis consacré sa thèse de doctorat au Guignol lyonnais, considèrent que ces formes nouvelles gagneraient souvent à faire davantage appel aux auteurs contemporains, « ce qui permettrait de conforter dans les mots toute l’audace qui se déploie à travers les objets et les figurines ». Il faut se souvenir, pointe aussi Johanny Bert, que « Guignol, à l’origine, donnait des coups de bâton aux gendarmes et aux propriétaires lyonnais qui se faisaient du fric sur le dos des canuts, avant d’être récupéré par la bourgeoisie. Maintenant, il cogne le voleur et le conduit au gendarme »…

Avec Hen, présenté dans cette Biam et repris dans cette version révisée au théâtre parisien de l’Atelier en mai, comme pour sa récente création, la (Nouvelle) Ronde, Johanny Bert s’affirme dans ces évolutions de la marionnette, loin de l’idée que cette discipline serait réservée à un public d’enfants. Il rend hommage à l’un de ses maîtres, qui contribua beaucoup à la naissance de la marionnette ­moderne, Alain Recoing (1924-2013), lequel appelait à défricher les pistes « d’un spectacle complet », avec entre autres le soutien convaincu du metteur en scène ­Antoine Vitez, qui dirigeait alors le Théâtre de Chaillot où il fit entrer le spectacle de marionnettes. ­Johanny Bert, qui vient d’entamer les répétitions d’un opéra inspiré par le film de Wim Wenders les Ailes du désir (1987), avec « quatorze marionnettes à taille humaine », affirme encore que « les petits pantins pour les petits enfants, synonyme de théâtre au rabais, ce doit être fini et bien fini ». Gérald Rossi

Les spectacles de la Biam se déroulent à Paris, Pantin, Argenteuil, Bagnolet, Bobigny, La Courneuve, Choisy-le-Roi, Cormeilles-en-Parisis, Eaubonne, Fontenay-sous-Bois, Ivry-sur-Seine, L’Île-Saint-Denis, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pontault-Combault, Saint-Denis, Saint-Michel-sur-Orge et Stains (Tél. : 01.84.79.44.44)

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