En cette première quinzaine de mai, se sont déroulées deux manifestations de belle facture : le Festival des langues françaises à Rouen (76), le festival À vif à Vire (14). Des initiatives qui font la part belle aux écritures contemporaines et tentent de conquérir de nouveaux publics. Avec audace et jeunesse

Il fait beau en Normandie, le soleil brille en ce quartier de la Piscine du Petit-Quevilly ! Sur l’éphémère estrade de bois installée en plein air, prennent place nombreux jeunes et enfants. Quelques adultes égarés, passants attirés par l’attroupement et la musique d’ambiance, se joignent au public. Une bande d’apprentis-comédiens du cru, avec énergie et enthousiasme, frappe symboliquement les trois coups : une mise en scène minimaliste pour faire entendre des paroles venues d’ailleurs, en l’occurrence du Congo Brazaville. Ils renouvelleront leur prestation trois jours durant. En d’autres lieux, ce sont des propos surgis d’Iran, de Guadeloupe, de Guyane et de Haïti qui squattent le devant de la scène : un éloge, appuyé et cosmopolite, à la langue française ! « En cette cinquième édition du festival tourné vers les Caraïbes, de nouveau nous entendons célébrer toutes « les langues françaises » dans leur diversité et faire découvrir des auteurs éloignés géographiquement et peu souvent programmés », commente Ronan Chéneau.

Le programmateur de l’événement, et artiste permanent au CDN Normandie-Rouen, se réjouit en outre du fidèle partenariat instauré avec le prix RFI Théâtre (Radio France Internationale), ce grand prix littéraire décerné chaque année aux Francophonies de Limoges. « C’est une grande voix haïtienne contemporaine, Gaëlle Bien-Aimé, que nous accueillons cette année ». Dont la metteure en scène Lucie Berelowitsch crée Port-au-Prince et sa douce nuit. Dans une capitale dévastée, tant par les séismes que par l’errance politique et les bandes mafieuses, un jeune couple s’interroge : fuir ou rester ? De leur passion partagée à l’amour viscéral éprouvé pour leur terre, l’aspiration à la liberté et au bonheur fissure leur devenir… Une mise en scène épurée, chaude et colorée, où chantent les accents créoles. Servie par deux comédiens d’une incroyable puissance évocatrice (Sonia Bonny, Lawrence Davis), d’une irradiante et sensuelle humanité : il nous tarde déjà de retrouver ce spectacle sur les scènes hexagonales !

Et c’est aussi Lucie Berelowitsch, directrice du CDN de Vire, que nous retrouvons à l’entrée du Préau où de joyeux lurons, garçons et filles, ont installé leurs tréteaux pour le festival À vif. Une manifestation en direction de la jeunesse adolescente qui prend les affaires en main en ouvrant les festivités avec quelques saynètes de leur cru sur le parvis du théâtre… Changeant, à grande vitesse, de genre et de tenue pour décliner ces fameuses Métamorphoses, le thème de l’édition 2023 ! « Notre festival se veut un endroit de rencontre et de fête théâtrale ouvert à tous les âges où les adultes communiquent avec les plus jeunes », témoigne la metteure en scène. Il est une certitude, comme l’écrit notre consœur Marie-Céline Nivière non sans humour, à Vire on ne prend pas les adolescents pour des andouilles ! Ils viennent d’Alençon, de Caen et du Havre pour présenter au public leurs improvisations, acteurs aussi aux premières loges pour dialoguer avec les grands lors de tables rondes ou de rencontres en bord de scène. Car il est une autre certitude, jeune ou adulte, la ou les métamorphose(s) touche(ent) chacune et chacun quel que soit son âge : dans le corps et l’esprit, la tête et les jambes !

Pour illustrer justement ce qui bouge, change et se transforme, Julie Ménard propose Dans ta peau. Sous l’appellation « conte musical fantastique », elle tente d’illustrer la métamorphose de Sybille qui, musicienne devenue star iconique, s’interroge sur son devenir au lendemain d’un amour perdu. Un décor tantôt appartement tantôt scène de concert, des lumières vives et colorées qui aveuglent le public ou enveloppent les protagonistes, une musique rock chère à Romain Tiriakian qui alterne entre douceur et saturation, la voix tantôt parlante tantôt chantante de Léopoldine Hummel au visage masqué et à l’étrange costume : quand la métamorphose se transforme en énigme, le spectateur risque d’y perdre tous ses sens ! En tout cas, petits et grands, ils sont nombreux au rendez-vous de cette atypique fête théâtrale. Qui essaime avec succès hors des lieux balisés et convenus, de cours d’école en lycée agricole. Yonnel Liegeois
Dans ta peau, texte et mise en scène de Julie Ménard : les 19-20 et 21/05 au festival Théâtre en mai, CDN Dijon-Bourgogne.