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Sarah Ourahmoune, de la tête et des poings

Championne du monde des moins de 48kg en 2008, huit fois championne de France, trois fois championne d’Europe, la boxeuse Sarah Ourahmoune est en finale des jeux de Rio ! Une femme de convictions qui ne fait pas parler que ses poings, généreuse et attachante, à la tête bien pleine autant que bien faîte.

 

 

Salle de boxe d’Aubervilliers, l’ambiance et l’odeur particulières des rings, entre les cordes claque le bruit sec des gants… Une jeune femme, charmante et élégante en tenue de ville, fait son apparition. A l’aise, décontractée dans cet univers d’hommes, le visage souriant et sans nulle marque de coups !

sarah4« Je suis venue à la boxe, presque par effraction », confesse la jolie Sarah Ourahmoune. « En tout cas sans l’autorisation de mes parents, j’avais quatorze ans et je me suis inscrite en cachette, il n’y avait encore aucune fille à la salle, pas de vestiaire pour elles. Said Bennajem, alors mon entraîneur, m’a proposé une séance, ça m’a plus, je suis revenue ». De la boxe éducative d’abord, les mercredi et samedi, puis le premier combat à Élancourt en 1999 pour Sarah, sa première victoire et son premier titre de championne de France la même année… « Mon père était fier, ma mère inquiète, les deux ont vite vu combien la boxe comptait pour moi ». La jeune femme enchaîne alors le parcours d’athlète de haut niveau : équipe de France féminine en 2000, premier championnat du monde en 2001, entrée à l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) en 2002… Durant quatre ans, elle raccroche les gants pour obtenir son diplôme d’éducatrice spécialisée auprès d’handicapés mentaux. Et de remonter alors sur le ring, encore plus forte et motivée, décrochant en 2008 le titre suprême lors des championnats du monde en Chine !

Une fille lucide, Sarah Ourahmoune, qui ne se laisse pas griser par le succès et la notoriété médiatique. D’autant qu’elle a éprouvé aussi le temps de la déception et de l’échec : sa non-qualification aux J.O. de Londres, contrainte de changer de catégorie puisque les moins de 48kg sont hors compétition… « L’échec fait partie du parcours d’un sportif de haut niveau, il faut l’accepter et apprendre à le gérer. La boxe est un sport exigeant, face à l’adversité j’ai appris à me blinder ! ». Sans perdre espoir ni faire l’impasse sur les Jeux de Rio : naissance d’une petite fille, changement de catégorie et d’entraîneur, reprise de la sarah1compétition et qualification pour le Brésil…. « Aujourd’hui, j’ai retrouvé le plaisir de la boxe, avant tout je m’amuse à l’entraînement, les performances suivront ».

Membre du réseau « Femmes et Sport, Sport et citoyenneté », elle n’hésite pas à livrer là aussi le combat sur son blog pour faire reconnaître ses droits et sa féminité. « Même si des progrès indéniables sont observés, le chemin vers l’égalité est encore long et appelle à une prise de conscience générale. Pour en découdre avec les préjugés machistes tenaces, il faudrait changer les regards sur la boxe féminine, des hommes mais aussi des femmes. Il demeure encore des aberrations en termes d’égalité des droits. Certaines salles refusent encore les femmes sous le prétexte que les entraineurs ne savent pas les gérer ou qu’elles pourraient perturber les autres pratiquants ». Et de poursuivre : « A Aubervilliers, les filles ont eu le droit à un vestiaire en 2004, avant nous allions squatter celui du baskett-ball. En équipe de France, il a fallu se battre pour obtenir des aides comme pour les hommes. Sans sponsor, c’est dur financièrement ».

En dépit des préjugés, Sarah éprouve une véritable passion pour sa discipline. Une école de la vie et de l’effort, une école surtout de maîtrise de soi où il faut apprendre à « toucher » sans se faire toucher… « La boxe, c’est comme les échecs, c’est très stratégique ». Contrairement aux apparences, un sport où il faut autant compter sur la puissance de ses poings que sur son intelligence du combat ! Et la jeune sportive n’en manque pas, cultivant à profusion projets et initiatives. Une vraie femme dans la cité, qui met son expérience au profit des autres : création d’une halte-garderie à la salle d’Aubervilliers pendant que les mamans s’exercent à la boxe (une cinquantaine de femmes inscrites, de 18 à 60 ans), création d’une section de boxe éducative pour les enfants handicapés mentaux… Deux initiatives conduites par Sarah Ourahmoune dont elle est particulièrement fière et Said Bennajem également, le patron de la salle et ancien sélectionné olympique. Fier de « Sarah la battante », toujours prête à retourner au combat après chaque coup de gong, ne s’avouant jamais vaincue jusqu’à la dernière reprise ! Une femme à l’énergie sarah2débordante, attachante et généreuse, qui mène avec succès sa double carrière sportive et professionnelle : éducatrice spécialisée, diplômée de Sciences-Po, co-directrice avec son mari d’une salle de sport en entreprise.

Un quotidien très chargé pour la championne, qui assume son statut de femme entre ou hors les cordes ! N’omettant pourtant jamais de se garder du temps pour la famille et sa passion, la peinture et le dessin ! Un plaisir né au temps de l’enfance, dont elle rêve parfois d’en faire son métier… Pour l’heure, place au combat de sa vie, le 20 août à 19h00, pour décrocher l’or ou l’argent : à elle désormais de rentrer dans l’histoire à l’image d’Estelle Mossely, première championne olympique française de boxe féminine ! Au final, quelle que soit la couleur du métal, un incroyable parcours et un fabuleux palmarès. Propos recueillis par Yonnel Liegeois

 

A lire : « Le sport féminin, le sport dernier bastion du sexisme ? », de Fabienne Broucaret avec une préface de Marie-George Buffet. « Destin… et tout peut basculer », de Sylvie Albou-Tabart, illustrations de Sarah Ourahmoune.

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Rouen, de l’art en barre

Dans le cadre du festival « Normandie impressionniste », la ville de Rouen a inauguré le 3 juillet une vingtaine de fresques monumentales dans trois quartiers de la ville. Venus d’Argentine, de Pologne ou de l’Aveyron, 18 artistes ont investi façades, barres et hangars. Pour une superbe expo à ciel ouvert, conçue pour durer.

 

En sillonnant Rouen cet été, vous croiserez un calamar géant, des joueurs de foot portant horloge et bateau sur la tête ou un danseur de hip-hop en mouvement, trônant majestueux sur les hangars des quais de Seine, les barres du quartier des Sapins ou les bâtiments du centre-ville. Pour la troisième édition de « Rouen impressionnée », la ville n’a pas lésiné. Elle a chargé Olivier Landes, urbaniste et fin connaisseur de Street Art, de repérer les lieux et de rouen2trouver les artistes les mieux à même de les investir. Pas uniquement pour embellir les murs de la ville, mais pour évoquer des réalités urbaines et sociales.

Ainsi, sur les hauteurs de Rouen, dans le quartier des Sapins, injustement réputé mal famé, des réunions avec les habitants, petits et grands, ont permis de mieux cerner leur quotidien. Au cœur de ces barres, à deux pas de la forêt, il n’est pas rare de croiser des hérissons, des sangliers et des renards ! Rien d’incongru donc à ce que la fresque du Brésilien Ramon Martins sur l’immeuble Norwich nous montre une femme pensive en boubou coloré, tenant un renard par le col… Une œuvre splendide qui dit la diversité des lieux. Un peu plus loin, on rouen1croisera encore un sanglier multicolore peint par l’Aveyronnais Bault, ou une vache entourée de deux jeunes filles, imaginée par le Polonais Sainer. Grâce au parcours imaginé par la mairie, Rouennais et touristes viendront voir du beau sur les façades des barres. Ces dernières se distingueront enfin et pour longtemps. Les peintures sont suffisamment solides pour tenir le coup une dizaine d’années. À voir ces sept œuvres magistrales, on se dit que nombre d’édiles banlieusards seraient bien inspirés de mener pareil chantier.

En revenant au centre-ville, ne loupez pas « L’apparition » de Gaspard Lieb, un artiste de la ville qui a fait surgir un danseur en noir et blanc sur le mur du Conservatoire et surtout rouen4l’extraordinaire fresque du Polonais Robert Proch à l’arrière du cinéma Omnia. Là, l’artiste a respecté le rouge brique du bâtiment latéral pour le faire évoluer vers le bleu du ciel. Il a su mettre à profit les moindres recoins de la façade, comme les ventilos, pour y glisser des visages à la Bacon. C’est tout bonnement époustouflant !

Poussez ensuite sur les quais de Seine et plantez-vous devant le hangar 23 où l’Allemand Satone a opté pour une abstraction chatoyante pour dire la circulation alentour, quand des rouen3dizaines de milliers de voitures empruntent le pont Flaubert chaque jour. Remontez enfin pour admirer le calamar géant qui s’étale sur les 400 m2 du hangar 11, imaginé par le Français Brusk. Attardez-vous devant l’œuvre faite entièrement à la bombe qui évoque la mer, Nuit debout et dissimule messages d’amitié et d’antipathie, comme le « Fuck Sarko » en beau lettrage bleu… Amélie Meffre

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Thérèse Clerc, comme une eau… de vie !

Thérèse Clerc, disparue le 16 février dans sa maison de Montreuil en Seine-Saint Denis (93), n’était pas une sainte, elle était beaucoup mieux : une femme engagée, gaie et pugnace. Qui a lutté pendant quarante ans et a porté à bout de bras de nombreux projets.

 

 

 

Thérèse Clerc, une femme extraordinaire dans l’ordinaire d’une vie, vécut deux existences, l’une et l’autre bien différentes mais aussi bien remplies : la première, très sage quand elle se marie à 20 ans, fort ignorante et vierge évidemment comme il se doit à l’époque… Elle aura 4 enfants en 10 ans. C’est une femme au foyer dans les conditions ordinaires du Paris des années 50 : eau sur le palier, WC communs et lavage des couches dans une Therese-Clerc-In-Memoriam-2grosse lessiveuse qu’elle descend vider dans la cour. Sous la lessiveuse, pourtant, couve un tempérament qui ne supporte pas l’injustice, et notamment celle faite aux femmes.
Thérèse Clerc ne se satisfait pas des réponses des prêtres-ouvriers qui ne dénoncent que l’exploitation des hommes au travail, comprenant à demi-mot que la femme est bien la prolétaire de l’homme. Elle refuse la soumission que lui préconise le vieux curé de la paroisse. L’ouragan de 68 dispersera les dernières timidités de la jeune bourgeoise, lectrice et vendeuse de « Témoignage chrétien », l’hebdo des « Cathos de gauche ».

Dès lors, elle sera de tous les combats humanistes et féministes. Elle milite pour le Mouvement de la Paix, le P.S.U. et s’investit à fond au M.L.A.C, le Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception fondé en 1973. Dans une ivresse de liberté nouvelle, elle est alors divorcée et travaille comme vendeuse. La belle Thérèse découvre les joies de l’engagement collectif, le goût du débat d’idées et les plaisirs du corps. Plaisirs qui riment alors trop souvent pour les femmes avec angoisse de la grossesse, douleurs et risque d’avortement. En juin 2008, à la veille de recevoir des mains de Michèle Perrot, l’historienne du féminisme, sa médaille de Chevalière de la Légion d’honneur en présence de Simone Veil, elle évoque cette période avec Jacky Durand pour un portrait capture_decran_2014-09-25_a_09.49.22_1dans le quotidien Libération. « … J’allais aux réunions à Jussieu. C’est la première fois que j’entendais le mot « patriarcat ». On parlait aussi des avortements clandestins qui étaient à l’époque la première cause de mortalité des femmes entre 18 et 50 ans. Elles subissaient l’aiguille à tricoter, le curetage à vif, parfois la septicémie ». Elle pratiquera de nombreuses interruptions de grossesses clandestines chez elle, dans son appartement de Montreuil, « on se formait les unes les autres… ».

Thérèse n’arrête pas là son combat, ou plutôt ses combats : elle fonde à Montreuil « La Maison des Femmes », qui ouvre ses portes en 2000. Une maison destinée à toutes celles qui sont notamment victimes de violence, y compris la douleur permanente consécutive à l’excision ou l’infibulation… Quelques semaines avant sa mort, la maison a été rebaptisée à son nom. En sa présence.

Entretemps, cette joyeuse « grand-mère indigne » de 14 petits-enfants découvre une situation qui la scandalise : celle de nombreuses femmes âgées qui survivent à peine avec une retraite minuscule, rançon de salaires faibles et de carrières professionnelles souvent en pointillé à cause des maternités… Qui, de plus, souffrent souvent d’un isolement social. Elle veut les aider et, avec deux amies, elle lance un projet très innovant. Avec quelques idées fortes : mieux vieillir ensemble mais surtout vieillir libres, autonomes, solidaires et citoyennes ! Voilà notre infatigable combattante qui enfourche un nouveau cheval de bataille nommé « Babayagas », du nom imagesdes sorcières des vieilles légendes russes… La chevauchée sera très longue, près d’une quinzaine d’années, pour sauter enfin les obstacles du financement du projet. La « Maison des Babayagas », utopie réaliste s’il en est, sera inaugurée en fanfare le 28 février 2013. Avec, comme refrain pour toute ligne de vie, « Vivre vieux, c’est bien. Vivre bien, c’est mieux ! ». Satisfaite, malgré la tristesse d’une dissension dans le groupe fondateur, Thérèse continue sa vie de femme libre, assumant ses amours saphiques devant la caméra de Sébastien Lifshitz pour « Les invisibles », un documentaire consacré aux homosexuels nés entre les deux guerres.

C’est une sacrée femme, une « flamme forte » qui s’est éteinte à 88 ans. Qui aurait pu adouber cette maxime à sa propre vie : « Vivre et aimer librement, vieillir et mourir debout ». Chantal Langeard

A lire : « Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs  » par Danielle Michel-Chich. La biographie de l’initiatrice de la « maison des Babayagas », inaugurée à Montreuil (93) en février 2013.

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Le Méliès à Montreuil, premier cinéma d’Europe

Le 19 septembre 2015, fut inauguré à Montreuil (93) le « Méliès », agrandi et rénové. Qui s’affiche, au lendemain de sa nouvelle implantation, comme le plus grand cinéma d’Europe classé « Art et essai » : six salles et 1120 fauteuils offerts aux passionnés du septième art.

 

 

Dans le vaste hall lumineux, suspendue au plafond, une gigantesque planète s’offre à la vue… Un clin d’œil appuyé au génie du cinéma qui fit de Montreuil sa terre d’élection, Georges Méliès, et à son fameux film « Le voyage dans la lune » réalisé en 1902 !
Melies2En cette mi-septembre, après une longue bataille juridique et technique, la vaste coque translucide du nouveau Méliès trône donc au cœur de ville, place Jean-Jaurès, entre la mairie et le Centre dramatique national. Un pôle culturel de grande ampleur pour cette ville de banlieue, sise en Seine-Saint Denis, au riche passé industriel et artistique, une alternative crédible et osée aux multiplexes commerciaux qui proposent popcorn et pellicules à profusion… Des tarifs attractifs, une programmation diversifiée et surtout un label « Art et Essai » qui en fait la grande originalité ! « Dans ces moments de crise, nous avons plus que besoin de la culture », déclarait Patrice Bessac, le maire de la cité ouvrière, lors de l’inauguration, « le Méliès est un flambeau de l’esprit de Montreuil et une œuvre collective ».

Et Stéphane Goudet, le directeur artistique du cinéma, de confier combien distributeurs et réalisateurs sont enthousiastes à l’ouverture de ce nouveau lieu, « ils veulent tous passer leurs films au Méliès ». Un « cinéma public », tel qu’affiché à la devanture du nouveau complexe, le plus grand cinéma « Art et essai » d’Europe, confronté à un pari osé : attirer entre 250 000 à 300 000 spectateurs à l’année pour assurer sa pérennité !

Alexie Lorca l'adjointe à la culture, Patrice Bessac le maire de Montreuil avec l'arrière petite-fille de Georges Méliès.

Alexie Lorca l’adjointe à la culture, Patrice Bessac le maire de Montreuil avec l’arrière petite-fille de Georges Méliès.

« Ce n’est pas gagné d’avance », reconnaît le fin connaisseur du septième art. « Nous allons être un contrepouvoir à un système qui donne la visibilité à deux films par semaine tout en en jetant quinze à la poubelle. Nous voulons toucher toutes les couches de la population, tous les publics sont bienvenus au Méliès ».

Lors de l’inauguration, François Aymé, le président de l’A.F.C.A.E., l’Association française des cinémas Art et Essai, n’a pas manqué de souligner publiquement l’enjeu de l’événement. Selon lui, un « Méliès » rénové, modernisé et aux capacités d’accueil surmultipliées contribue au renforcement des missions qu’un tel label cinématographique s’est assigné : la défense du pluralisme des lieux de diffusion cinématographique d’abord, indispensable au maintien de la diversité de l’offre de films et à l’aménagement culturel du territoire, le soutien du cinéma d’auteur ensuite, la formation des publics enfin, notamment des plus jeunes.

Six salles pour trois objectifs majeurs, le Méliès est désormais en orbite pour décrocher la lune ! Loïc Maxime
Cinéma Le Méliès, 12 Place Jean-Jaurès, 93100 Montreuil (Tél. : 01.48.58.90.13).

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Daniel Forget, le cirque et la cité

« Le plus petit cirque du monde, une aventure humaine » de Daniel Forget, nouvellement paru aux éditions de l’Atelier, raconte la genèse d’une structure, éducative et créative, dont l’histoire conduira  à l’inauguration d’un cirque « en dur » à Bagneux en 2015. Nous sommes en Ile de France, tout près de Paris.

 

 

Bagneux ? Une de ces banlieues que les politiques de la ville désignent trop souvent de « zones » difficiles, prioritaires ou urbaines sensibles. Nous acceptons trop nous-mêmes ce langage stigmatisant qui porte l’abaissement. Eh bien non, ce coin de banlieue, la cité des Cuverons dans le quartier des Blagis, Cirque2relève pour nous de l’appellation non contrôlée de quartier exceptionnel ! Nous le couronnons ainsi après avoir lu « Le plus petit cirque du monde, une aventure humaine » où se produit un miracle, c’est-à-dire quelque chose d’inattendu qui surgit de l’aléatoire de « succession de rencontres, d’émerveillements, de discussions, d’interrogations, de conflits » et qui résulte pourtant d’une volonté commune inextinguible, d’un désir, de l’obtenir ! Un équipement circassien va naitre de cette conjonction.

Dans cette périphérie, mais ouvert sur tout l’environnement, noué à l’espace urbain de la localité, enkysté dans les grandes barres construites dans les années 1960, articulé au territoire régional plus large encore dont il participe, émergent aujourd’hui les fondations d’un cirque. Ce lieu si singulier, si particulier est ainsi celui de l’art le plus universel qui soit.

Là s’invente une action artistique et poétique, celle du cirque « ontologiquement » Cirque4populaire depuis la nuit des temps, qui sécrète sa toile, forme politique de rassemblement sans exclusive. Une telle composition ne se décrète pas administrativement. L’amalgame prend dans un mouvement, dans une marche… Des décisions, des appuis publics, institutionnels, il en faut et il y en aura, mais il faut surtout une idée juste de ce qu’on veut artistiquement et qui donne pugnacité irrésistible au vouloir commun qui se l’approprie et le modèle.
Mais alors, reprenons le livre qui nous conte l’aventure du « Plus petit cirque du monde » communément surnommé le « PPCM ». C’est une toute petite histoire, minuscule même, sans aucune prétention, simple comme bonjour. Nous la lisons, le regard écarquillé comme celui des enfants émerveillés au cirque, tiens justement. Et c’est pourquoi elle pourrait bien se révéler pour le lecteur d’un très grand intérêt, et souhaitons-le, d’une grande puissance de contamination. Elle s’offre à nous comme une poignée de mains cordiale, généreuse. Elle nous lave des pensées de certitudes et de systèmes désabusées, pessimistes ou défaitistes qui annoncent la fin du monde pour demain ! Ronchonnes quoi… Elle nous réconcilie avec le possible, voire avec l’impossible, avec l’audace d’agir, l’envie de bouger son corps, de danser, de rencontrer, d’échanger.

Nous embrayons là avec le moteur de l’utopie sur le vaste monde, le Cirque6merveilleux, l’enfance, le passé et l’avenir rendu présents. Le mouvement des astres ! Le ciel est en bas, la terre au ciel. L’espace est renversé. Nous ne baissons pas les bras, nous les tendons, les levons. Comme des séraphins, nous descendons et montons avec grâce le long de fils d’or. Nous ne sommes pas beaux, nous le devenons. Nos yeux sont des astérisques. La mort-même ne fait plus peur aux enfants que nous sommes. Voilà pourquoi nous sommes invincibles. Nous nous envolons. Nous jonglons avec culot. Nous avons tous les culots d’ailleurs. Nous marchons sur les mains. Bref, le cirque est bien la métaphore de ce livre qui retrace la fondation de celui qui se qualifie ici d’être le plus petit du monde. Manière de dire sa grande âme. Éloge de la faiblesse qui, au cirque, devient la force. Le fort perdant toujours. Ou alors sa force est dans la ruse, le malin, le souple, le délié, le naïf, le vrai naïf, pas le niais. Celui qui cultive la naïveté, triomphant toujours.
Ce livre ? Un fatras d’actions, oui parce que, comme le dit Péguy, un fatras vivant est mieux qu’un ordre mort. Pour dire autrement, c’est dans de telles entreprises entremêlées que se cherche un peuple, que se reçoit des exigences d’inouïes diversités. Ainsi, assurément, on qualifie et cultive l’homme dans le pauvre et l’on s’apitoie moins sur le pauvre dans l’homme.

Fatras oui, parce qu’on est au plus proche du vivant et que le vivant est fatras, pas Cirque5système. C’est relaté avec tellement de clarté d’écriture, une langue si simple et si sûrement établie que le sens se fait, se fouille, s’ajuste. Fatras peut être, mais enfin l’auteur sait ce qu’il veut et dit précisément l’aventure qu’il brûle de propager avec ardeur.
Fatras surtout, car l’aventure de ce cirque est tout, sauf linéaire. Son histoire n’était pas écrite d’avance. On n’avait d’ailleurs pas nécessairement l’idée même d’être en train de faire une histoire, alors de l’écrire, vous pensez bien ! Savoir où il allait ? Quand l’auteur, acteur principal de l’entreprise, a fait les premiers pas, il ne le savait pas… Pourtant, il n’était pas dans l’errance des convictions. C’est un homme de désir. Il a marché et jonglé seul, ou presque, puis ensuite à quelques-uns. Pas de protocole qui donne le but, pas de préalables ni de normes préétablies. Marchez et vous trouverez. Les idées justes viennent en marchant, voilà ce que montre ce livre ! On marche comme un équilibriste, jonglant avec les évènements, avec les forces, les tissant, les renversant, les détournant quand le vent est contraire. Quand on voit quelques photos de l’architecture, le livre en présente, ce cirque est un bateau, matures, voiles. On monte des constructions jusqu’au ciel, comme les maçons dans le temps à la corde à nœuds montaient en chantonnant dans le ciel par dessus le toit des immeubles, ou les lignards…

Un seul moteur utopique : le cirque. Le cirque comme structurant les personnes, Cirque3artistes et pédagogues, le cirque est école. Et ici aussi, au fond, tout a commencé par la transmission, par la création d’une école circassienne inspirée de celles que sait forger l’éducation populaire. L’auteur se revendique très explicitement de cette famille active. En quelques pages, il inscrit sa réflexion dans l’histoire de l’éducation populaire dont il esquisse, avec beaucoup de justesse, l’histoire riche et complexe. Tout le monde peut faire du cirque, à condition de se former, « ce qui implique de dépasser l’apprentissage autodidactique », de s’allier l’apport de professionnels motivés qui « transmettent leurs compétences pour améliorer la technicité, l’aisance par rapport au public ». Pas des spécialistes étroits, des spécialistes en partage de savoirs : faire entrer dans la danse, dans le mouvement d’ensemble.
Bref, on joue de tout ! Et en marchant, à chaque étape, l’enthousiasme gagne, les idées viennent, les projets se consolident et s’affinent, des forces s’agrègent, de nouvelles solidarités actives se trament, des élus ou responsables politiques apportent le concours indispensable des collectivités au mouvement dont ils voient comment il « qualifie la vie et le bien-être de tous ».

L’origine de la passion de Daniel Forget ? Elle est d’abord à chercher dans cette « Cirque7mémoire de famille » avec, par exemple, ce grand-père, ami des artistes, également musicien amateur, peignant lui-même des roulottes Porte Brançion, là où passe actuellement le périphérique et où étaient les fortifs. Naissance de cette conviction en cet alliage étonnant de la culture populaire et de l’art exigeant mais jamais élitiste, modelant (pas modélisant) le politique. Il y sera fidèle toute sa jeunesse où, malgré une scolarité difficile – ce qui interroge collatéralement sur l’école ! -, il se frottera aux plus grands poètes. Compte aussi, dans l’expérience, son engagement de délégué syndical CGT à la RATP (machiniste, réseau ferré, ligne 10). En « bonus », il nous offre quelques délicieuses lignes enthousiastes de stratégies artistico-syndicales gagnantes, intelligentes, actives. Daniel Forget sait jongler. Jean-Pierre Burdin

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Olivier Adam, un écrivain à la peine

Avec « Peine perdue », son nouveau roman paru chez Flammarion, l’écrivain Olivier Adam signe le portrait d’une communauté désabusée. Un roman social qui nous plonge au cœur du désarroi français.

 

 

Cyrielle Blaire – Dans « Peine perdue« , défilent tour à tour 23 personnages désemparés, qui ont arrêté d’y croire. La peinture d’un certain état de la France ?
Olivier Adam – Je considère que les romans doivent à la fois traiter de l’intime et du adamcollectif, de la condition humaine, mais aussi de l’état de la société dans laquelle on vit. Ma mission est de parler de cette France là, qui est le cœur majoritaire de la société française. Le cœur du pays, ce ne sont pas des gens qui bossent à la télé, les traders, les patrons ! Ce sont les classes populaires et les classes moyennes. Cette communauté, qui va de la femme de ménage à l’hôpital au saisonnier, est traversée par un désarroi face à la précarisation et à l’accroissement des inégalités, par cette impression qu’ils ne sont ni représentés ni entendus et que, pour la première fois de l’histoire, la génération qui arrive vivra plus mal que celle qui l’a précédée.

C.B. – Vos personnages sont aide soignante, maçon ou encore gardien de nuit… Dans votre livre, la question du sens et de la relation au travail est tout, sauf anecdotique ?
O.A. – La réalité de nos vies, c’est que les gens bossent, essaient de boucler leurs fins de mois, s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants. Pour donner à voir cette vérité, on ne peut pas faire l’impasse sur les questions liées au travail, aux frictions et à la violence sociale. L’usure d’une vie de travail, c’est une usure intime. A travers ce livre, mes personnages racontent ce qu’ils font de leurs propres difficultés, comment ils essaient malgré tout d’être de bons pères, de bons fils, les solidarités qui peuvent se déployer.

C.B. – Le récit s’ancre dans une station balnéaire de la Côte d’Azur, un lieu où vous écrivez que « le fric coule à flot ». Pas pour tout le monde…
O.A. – Je me suis établi en Bretagne, dans une ville de bord de mer où le contraste est saisissant entre ces familles très bourgeoises qui viennent l’été et les gens qui font tourner les stations. Une fois que les touristes sont partis, il reste ces femmes de chambre des hôtels, ces gens qui travaillent dans les bars, un monde réel de travail souvent manuel, de boulots sans gros salaires. Je suis issu de cette réalité. Mon grand père était cantonnier, mon père vient du prolétariat pur et dur, c’est ce qui m’a façonné et je n’ai jamais perdu le contact avec l’endroit où j’ai grandi en banlieue sud. Souvent, des gens me disent : continuez, car vous n’êtes pas nombreux à parler de nous.

C.B. – On parlait de désarroi… Dans « Les Lisières », votre précédent roman, le personnage du père de l’écrivain est tenté par le vote Front national.
O.A. – Je me suis inspiré de quelqu’un de très proche : ouvrier dans l’imprimerie,

Photo Daniel Maunoury

Photo Daniel Maunoury

syndiqué CGT et qui tient aujourd’hui des discours intégrant le « tous pourri » et l’idée que « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Dans une période de grande difficulté économique, il y a malheureusement des effets de crispation et de replis. Le sentiment actuel est qu’on demande aux gens des efforts insensés pour réduire une crise qui a été déclenchée par des instances invisibles guidées par la cupidité et le profit. A partir du moment où les hommes politiques qui avaient pour mission historique de réduire les inégalités sociales se sont trahis en professant qu’il faut « contrôler les chômeurs » ou qu’ils « aiment l’entreprise », je pense que cela participe aussi de ce désarroi. Propos recueillis par Cyrielle Blaire

 

Repères :
Olivier Adam a un style sec et tenu. Au fil de ces romans, il s’est fait le scribe d’une certaine France : celle des marges, des périphéries, mettant en scène avec justesse leur quotidien. Il a notamment publié « Je vais bien, ne t’en fais pas » (adapté au cinéma par Philippe Lioret), « A l’abri de rien », « Les Lisières ». Il a collaboré à l’écriture du scénario de « Welcome », un autre film de Philippe Lioret.

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Sonnet père et fille, Billancourt à la page

Il travailla durant près de vingt ans aux forges de Renault – Billancourt. Sous la plume de sa fille Martine, Amand Sonnet et ses camarades de labeur revivent dans Atelier 62. Disponible, désormais, en édition de poche.

 

SonnetElle en a fait des pas, Martine enfant, à tenter de suivre ceux de son père, « ce marcheur décidé » au point d’en perdre sa fille dans le métro ! Direction Orly, Saint Ouen et ses puces, Montreuil mais jamais Billancourt, la forteresse ouvrière… Alors Martine Sonnet, adulte et seule, ose enfin se rendre là où son père travailla seize ans durant, pour en faire quelques clichés, « aller voir ce qu’il en était advenu de l’atelier 62 et de tous les autres ». Et y découvrir le vide, partout… « Plus de forges,… quelques bâtiments encore debout, éventrés, étripés, et des pans de mur qui restent. Dérisoires, désignifiés. Ceux qu’on gardera sans doute, pour faire bien, dire que la preuve qu’on s’en souvient de l’histoire et des hommes qui l’ont faîte… Le lundi suivant je récupère mes photos, ratées, les deux films, toutes… Comme si je n’avais rien vu à Billancourt. Parce qu’il n’y a plus rien à voir à Billancourt ».

renaultPlus grand chose à voir, certainement, mais beaucoup à dire, à écrire et à lire sur Billancourt : plus de 200 pages émouvantes et poignantes, où la fille Sonnet conte le quotidien d’Amand son père et de ces milliers d’ouvriers « sous leurs casquettes qui franchissaient les portails, les passerelles, … perspectives comme en entonnoir que cherchaient les photographes quand ils les prenaient » ! À l’histoire de ces chaînes d’immigrés venus d’Algérie ou d’ailleurs, elle y ajoute donc celle de cet immigré de l’intérieur, ce forgeron normand qui, dans les années cinquante, abandonne l’établi familial pour la capitale et sa célèbre île à voitures. Pendant cinq ans, avant de trouver un logement en banlieue parisienne, l’homme à la quarantaine prendra le train chaque fin de semaine pour retrouver femme et enfants à « Saint Laurent-Céaucé (Orne) / Charronnage et forge – Amand Sonnet », là où la lignée est installée depuis des siècles.

SonnetHistorienne spécialisée sur la question des femmes, ingénieur de recherche au CNRS, Martine Sonnet mêle avec saveur et talent cette quête d’identité personnelle et collective. Fidèle à ses sources certes, fouinant dans les archives de la direction, les collections de L’Humanité et celles de L’Écho des Métallos de la CGT de Billancourt, mais se refusant à écrire l’histoire des Renault… Qu’on ne s’y méprenne, avec Atelier 62 la narratrice n’ambitionne point à faire œuvre d’historienne, elle est d’abord une auteure qui, alternant d’un chapitre à l’autre en chiffres arabe et romain, décline cette épopée des « Trente Glorieuses » entre l’intime et le général, les souvenirs personnels et les témoignages collectifs, les rares écrits familiaux et les articles syndicaux. À la façon des Beinstingel, Bon, Bergounioux et Michon, cette génération d’écrivains pour qui l’usine ou le bureau, la geste des hommes au labeur ou sans travail, le quotidien des « gens de peu » et la singularité de toutes ces « vies minuscules » sont matériaux privilégiés d’écriture…

51RD8B22V9L._SX385_Le déclic, justement, pour Martine Sonnet ? La visite de l’exposition des photos d’Antoine Stéphani (« Billancourt », Le Cercle d’Art, 39€) au théâtre de Malakoff en 2005 lors des représentations de « Daewoo », la pièce de François Bon mise en scène par Charles Tordjman… « Magnifiques ces photographies, surtout celles des vestiaires avec les vestiges de ces étiquettes collées et décollées. La seule trace, bien éphémère, de tous ces hommes qui sont passés là, dont mon père… ». Révolte des banlieues, deuil familial, richesse d’un travail professionnel interdisciplinaire avec sociologues et autres chercheurs, distance que l’Amand « pas un causeux » a toujours mis entre l’usine et son HLM, quatre motivations qui convainquent la cadette de la fratrie Sonnet : il lui faut écrire, raconter, décrire. Les conditions de travail, l’usure ou la mort avant l’âge de la retraite, la mesquinerie voire l’ignominie de la direction de la Régie et de ses petits chefs, la noblesse autant que l’enfer des forçats employés aux forges de Billancourt, le labeur journalier du charron de Ceaucé à l’atelier 62 dans les années 60 : des pages à l’écriture sèche, sans pathos ni adjectif superflus où chacun pourtant, avec émotion et tendresse partagées, fils ou fille de rien, y reconnaît entre les lignes la trace de son propre père, cheminot, mineur ou métallo. Au temps où le métier primait sur l’emploi, au temps où le faire et le savoir-faire faisaient encore sens.

Photo-montage des clichés de Robert Doisneau

Photo-montage des clichés de Robert Doisneau

« Je n’ai pas voulu sombrer dans le nostalgique ou le pittoresque », témoigne Martine Sonnet. « La forme de l’écriture s’est imposée d’elle-même : toujours chercher le mot le plus simple pour en dire le maximum, la phrase la plus économique, courte et précise, réduite à l’indispensable ». Après le refus du manuscrit par dix-huit éditeurs, et pas des moindres, une petite maison de province, Le temps qu’il fait, le retient. Pour le bonheur aujourd’hui de milliers de lecteurs. « Je suis étonnée et surprise de l’accueil enthousiaste que le public a réservé à mon livre, de l’émotion suscitée », confesse l’auteure sans fausse pudeur. C’est que Atelier 62 subvertit les genres littéraires pour toucher l’indicible, l’authentique : une déclaration d’amour feutrée pour un père au corps mutilé par le labeur autant qu’un long cri de colère contre ses exploiteurs judicieusement démasqués, une saga familiale aux couleurs savoureuses dans cette banlieue pas encore désœuvrée autant qu’une grande fresque sociale à la mémoire de cette classe ouvrière qui reconstruisait le pays. Comme la Commune, elle n’est pas morte d’ailleurs, souligne Martine Sonnet, juste plus discrète, plus atomisée sous le joug du temps partiel, du chômage et des délocalisations…

À chaque retour de Normandie, l’été déclinant, Amand Sonnet avait coutume d’apposer une pancarte sur la maison familiale, orpheline de ses occupants : « Fermeture pour travail annuel du 1er septembre au 31 juillet ». Les bouches s’ouvrent désormais. Et fièrement, superbement. « Charonnage et forge – Saint Laurent-Céaucé (Orne) », Sonnet père et fille, de la belle ouvrage. Propos recueillis par Yonnel Liégeois

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